jeudi 19 décembre 2013

*5* Mobilisé en août 1914, à la 16ème SIM à Perpignan.


L'Allemagne avait une folle ambition, elle prétendait à la domination universelle.
Ce rêve monstrueux était celui de la Cour, de l'armée, de l'Université, des gens d'affaires, et de la grande majorité des travailleurs.
Le Kaiser Guillaume II se disait chargé par la Providence de régénérer le Monde.
Le 28 juin 1914, l'archiduc héritier d'Autriche, François Ferdinand, fut assassiné à Sarajevo, capitale de la Bosnie. En 1908, l'Autriche avait annexé Sarajevo contre tout droit, alors que cette capitale était revendiquée par la Serbie, état slave.
L'Autriche avait adressé un ultimatum humiliant à la Serbie. Cependant, sur les conseils de la Russie et de la France, la Serbie avait accepté presque toutes les conditions.
Des propositions d'arbitrage, par commission internationale, avaient été faites par le tsar Nicolas, la France et l'Angleterre, aux alliés, Allemagne et Autriche- Hongrie, qui les avaient repoussées.
Par prudence, la Russie dut mobiliser le long de la frontière austro-hongroise.

L'Allemagne déclara la guerre à la Russie, le 1er août 1914, puis à la France le 3 août 1914.
La Belgique fut sommée de livrer passage sur son territoire aux armées du Kaiser. Le roi Albert opposa un refus formel. La Prusse avait garanti l'indépendance et la neutralité de la Belgique par un traité appelé "chiffon de papier" par le chancelier allemand.
Le gouvernement britannique, soucieux de faire honneur à sa signature, déclara la guerre à l'Allemagne le 4 août 1914. Le même jour, il y eut violation de la Belgique.
Au début du conflit, les allemands, les austro-hongrois, les turcs et les bulgares avaient pour adversaires la France, la Russie, l'Angleterre et la Serbie. Plus tard, le monde entier fut bouleversé.

Source de la photo : wikipédia






Le 31 juillet, Jean Jaurès, homme politique originaire du Tarn, socialiste qui consacrait toute son énergie à empêcher le déclenchement de la guerre, avait été assassiné à Paris, rue Montmartre, au café du croissant, par Raoul Villain, nationaliste, partisan de la guerre.






L'église d'Albine





C'est à Albine que nous avons entendu les cloches
sonner le tocsin.






Des affiches annonçant l'ordre de mobilisation générale ont été placardées dans notre commune. Je devais organiser mon départ.

Le texte suivant, signé du Président de la République Raymond Poincaré élu en janvier1913 par l'Assemblée nationale, et de tous ses ministres, était aussi affiché :

 "Depuis quelques jours l'état de l'Europe s'est considérablement aggravé. En dépit des efforts de la diplomatie, l'horizon s'est assombri. A l'heure présente, la plupart des nations ont mobilisé leurs forces. Même les pays protégés par leur neutralité ont cru devoir prendre cette mesure à titre de précaution. Des puissances dont la législation constitutionnelle ou militaire ne ressemble pas à la nôtre, sans avoir pris un décret de mobilisation ont commencé et poursuivent des préparatifs qui équivalent en réalité à la mobilisation même et qui n'en sont que l'exécution anticipée. La France qui a toujours affirmé ses volontés pacifiques, qui a dans les jours tragiques donné à l’Europe des conseils de modération et un vivant exemple de sagesse, qui a multiplié ses efforts pour maintenir la paix du monde, s'est elle-même préparée à toutes les éventualités et a pris, dès maintenant, les premières dispositions indispensables à la sauvegarde de son territoire. Mais notre législation ne permet pas de rendre ses préparatifs complets s'il n'intervient pas de décret de mobilisation. Soucieux de sa responsabilité, sentant qu'il manquerait à un devoir sacré s'il laissait les choses en l'état, le Gouvernement vient de prendre le décret qu'impose la situation. La mobilisation n'est pas la guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît au contraire comme le meilleur moyen d'assurer la paix dans l'honneur. Fort de son désir d'aboutir à une solution pacifique de la crise, le Gouvernement, à l'abri de ces précautions nécessaires, continuera ses efforts diplomatiques. Il espère encore réussir. Il compte sur le sang-froid de cette noble nation pour qu'elle ne se laisse pas aller à une émotion injustifiée. Il compte sur le patriotisme de tous les Français et sait qu'il n'en est pas un seul qui ne soit prêt à faire son devoir A cette heure, il n’y a plus de partis, il y a la Patrie du droit et de la justice, toute entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité."

Source : Larousse
La mobilisation, à la Une du quotidien régional

C'est ainsi que le 8 août 1914, j'ai été mobilisé . Je faisais partie des 2 200 000 hommes de la réserve parmi les 2 900 000 qui devaient rejoindre les dépôts. Le transport, gratuit, devait se faire par voie ferrée, en tenue civile. Il nous  était conseillé d'emporter deux chemises, un caleçon, deux mouchoirs et une bonne paire de chaussures, des vivres pour un jour, et d'avoir les cheveux courts.

Photo prise par Bourguignon, le 2 août 1914 : un groupe de Mazamétains mobilisés
Photo prise par Bourguignon : la population Mazamétaine salue à la gare les mobilisés
Le général Taverna
source : military-photos.com





Je suis arrivé le 8 août au dépôt de Perpignan, à la 16ème section d'infirmiers, en tant que sergent.
Cette section était rattachée au 16ème Corps d'Armée qui était installé à Montpellier et qui avait pour chef le général Taverna.

Ce corps d'armée venait d'être mis sur pied par la 16ème région militaire.
Il entrait dans la composition de la IIème armée, surnommée "armée de Dijon", et il avait été constitué avec les vignerons de l'Hérault et les montagnards des Cévennes. La IIème armée avait été créée le 2 août, en application du plan XVII, le 17ème plan depuis la fin de la guerre de 1870. Ce plan consistait à avancer vers l'Alsace et la Moselle, pour reconquérir les territoires perdus en 1870 . La IIème armée était le fer de lance de l'offensive française pour libérer la Lorraine et pénétrer en Allemagne.




Son commandant, le général de Curières de Castelnau, était surnommé "le capucin botté" pour son catholicisme exalté. C'était un des principaux collaborateurs du général Joffre dans la préparation de la guerre.






A l'arrivée au dépôt, on m'a donné mon uniforme :  képi,  veste, capote,  pantalon,  bretelles,  chemise, cravate, caleçon, guêtres, chaussettes, brodequins à clous, ceinturon, cartouchières, porte-épée baïonnette.
J'ai du mettre à mon cou une plaque d'identité ovale, en aluminium portant mon nom, mon prénom, ma classe, ma subdivision et mon matricule.
Puis, on m'a remis havresac,  musette,  bidon, peigne,  mouchoirs,  boîte à graisse,  brosse, savon, trousse à couture, pansements, gamelle, cuillère, fourchette et quart.

Ma formation comprenait 33 hommes, dont deux sergents, Monsieur Pierre Cormouls et moi. L'officier qui la commandait était un jeune instituteur du Tarn. Il nous avait reçu comme de vrais camarades. Très vite, on nous a informé que nous devrions nous rendre à Lunel pour partir le 15 août vers l'Alsace, derrière les armées de L'Est,  avec un groupe de brancardiers de la 66ème division. Quoique assez près des combats, je  restais confiant et pensais que ce ne serait pas très dangereux.



En fait, contrairement à d'autres soldats de cette section d'infirmiers, je suis resté à Perpignan.

Un groupe de 120 brancardiers de la 45ème division marocaine, constituée à Oran le 19 août 1914 à partir d'effectifs provenant d'Algérie, du Maroc et de la 16ème région, devait arriver à Narbonne le 27 août, avec du matériel et des chevaux. Après la traversée de la Méditerranée, ils devaient débarquer à Cette et rejoindre Narbonne.
Cette division était commandée dès le 26 août par le général  Antoine Drude.
J'ai été envoyé  à Narbonne le 23 août pour fonctionner avec eux, avant leur départ pour Paris. Mais, c'était une erreur et nous avons été ramenés le 5 septembre à Perpignan.

Nous sommes restés cantonnés à l'Eldorado. J'y ai fait la connaissance de Capestan qui a été un peu plus tard affecté à la réserve du personnel sanitaire numéro 16, dans les trains sanitaires, à Aubervilliers, où il avait pour adresse158 rue de la Goutte d'Or.



Il y avait aussi parmi nous E.Escande 
qui avait dû, ensuite, à son tour,
 partir pour Castres.

E.ESCANDE



J'étais resté en contact avec mon
ami Antoine Sin de Cerbère, ville très proche de Perpignan. Il était devenu sergent le 6 août 1910 et, au retour du service militaire, il avait été affecté spécial comme employé de la Compagnie des chemins de fer du Midi. A la mobilisation générale, il avait été affecté d'office au 53ème Régiment d'Infanterie.








J'avais laissé ma petite famille, Louise, Yvonne et Jeannot, à Albine. Louise était inquiète et me demandait de lui donner souvent de mes nouvelles.
Heureusement, nous pouvions échanger quelques cartes postales et j'étais content de les savoir en bonne santé.

 
Albine, place de l'Ormeau.
                     Le travail continuait à la grande usine seulement.
              Durant l'été, le manque d'eau, la chaleur qui risquait de 
                   "piquer" les cuirs, mettaient les usines au ralenti. 

   La foire du 18 août n'était pas brillante, vu les circonstances. 
Un jour de foire, à Albine

Début septembre, l'usine devait arrêter le travail, beaucoup d'ouvriers devaient partir aux vendanges.
Le 16 septembre, Louise envisageait de me rendre visite à Perpignan avec les enfants, avec un arrêt à Carcassonne chez Madame Mercier.


Albine, le lavoir, avenue de Saint-Amans


Le 23 septembre, j'ai obtenu une permission de 6 jours et j'ai pu rejoindre ma famille dans le Tarn avant de retourner à Perpignan le 30 septembre. Quel bonheur de retrouver pour quelques jours les miens,  après ce long mois et demi d'absence !






Mon frère René, de la classe 1915, travaillait encore au Sénégal, et, âgé de 19 ans, n'avait pas encore fait son service militaire.
Notre cousin Elie Raynaud, de la classe 1916, était dans le même cas. Il travaillait comme René au Sénégal.




Pendant ce temps, mes amis connus au service militaire à Alger vivaient, en d'autres lieux, la même aventure. Joseph Arnaud avait rejoint le 3 août, la 15ème section d'infirmiers-brancardiers au dépôt de Marseille. Puis, il avait rejoint en Moselle, le groupe de brancardiers divisionnaires du 15ème Corps d'Armée. Ce corps  appartenait aussi à la IIème armée du général de Castelnau, et était commandé par le général Espinasse.
Le général Espinasse
source : provence 14-18.org
 Le 13 août, l'ordre d'attaquer et d'envahir la Lorraine avait été donné par le général de Castelnau. Lors de la bataille de Mohrange, le 20 août 1914, le 15ème Corps d'Armée montra quelques défaillances individuelles. Le général  Joffre fit alors replier ce corps, en l'accusant de ne pas avoir tenu sous le feu et d'avoir été la cause de l'échec de l'offensive française. Le ministre de la guerre prit alors des mesures de répression immédiates et impitoyables. Plusieurs soldats furent fusillés pour abandon de poste par mutilation volontaire, sans instruction ni interrogatoire préalables. Le journal "le Matin" en profita pour taxer, de façon calomnieuse, les Poilus provençaux de lâche, de façon très maladroite, générant chez eux, un sentiment de grande injustice. Le général Espinasse avait perdu, dans ces deux jours de combat acharné qualifié plus tard d'holocauste par les survivants,  9800 hommes et 180 officiers. En 10 jours, 12846 hommes du 15ème Corps d'Armée s'étaient retrouvés hors de combat. L'attaque française en Lorraine avait été un échec.
Ce 20 août 1914, Joseph fut fait prisonnier à Dieuze et on l'incarcéra en Bavière, au camp de Landshut.


Je restais à Perpignan, loin du front, jusqu'au 8 octobre 1914




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