samedi 26 novembre 2016

*14* Officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, dans la Marne, de décembre 1916 à mai 1917.

Le lundi 27 novembre 1916, à 18 heures, l'ambulance 1/10 au repos à Poix dans la Somme, se mettait en route, à la suite des ambulances 13/11 et 6/6 et du GBC 32, pour arriver à Loeuilly à 23 heures. Après avoir stationné devant la gare, les officiers, sous-officiers, soldats, chevaux et voitures embarquaient dans un train de ramassage, le 28 novembre à 14 heures, pour arriver à Mézy dans l'Aisne, le 29 novembre à 9 heures.


Extrait de la carte d’État-major numéro 49 de Meaux, échelle 1/80000, publiée par le dépôt de la guerre en 1832 et révisée en 1912
 (document appartenant à Ernest Vidal, tous droits réservés).


                      Voici mes annotations au dos de cette carte bien utile lors de mes déplacements :




A 10 heures, nous partions pour gagner Orbais-l'Abbaye dans le département de la Marne, à 17 heures, en suivant le trajet tracé sur ma carte d’État-major. On peut voir que j'y avais aussi noté et daté notre débarquement à Mézy.
Je logeais chez Monsieur Vignot, à l'Echelle, après avoir passé la nuit du 27 dans la rue et celle du 28 dans le train. Puis, le 30 novembre, départ à 8 heures pour une halte à Mardeuil à partir de16 heures. Enfin, le 1er décembre, départ à 8 heures pour gagner Champlat à 16 heures. Je logeais chez Alice Didier.
Notre formation séparée de la 42ème division d'infanterie depuis le 6 novembre, était à nouveau proche d'elle, le QG de cette division se trouvant à Ville-en-Tardenois.
Le médecin divisionnaire étant parti en permission, notre médecin chef Jules Sottas fut sollicité pour le remplacer du 3 au 15 décembre. Le chirurgien Pierre Pont et le médecin Maurice Rigal, partis en permission avant notre départ de Poix, rejoignirent l'ambulance respectivement les 4 et 6 décembre. Notre officier gestionnaire Louis Servanty profita également d'une permission à Paris du 3 au 14 décembre. Puis, le pharmacien auxiliaire Jean Caubon et le médecin Raymond Midon eurent une permission à leur tour, du 4 au 16 décembre pour l'un, du 6 au 17 décembre à Diarville pour l'autre.

Le 12 décembre, l'Allemagne avait demandé l'ouverture de négociations de paix, mais sans aucune proposition de quitter les territoires occupés, ce qui avait rendu cette proposition inacceptable pour les Alliés.

Un ordre de mouvement nous étant parvenu le 18 décembre à 23 heures, les ambulances 1/10 et 1/6, ainsi que le GBD 42, prirent la route à 7h30 le lendemain, pour Pierry. Après avoir traversé Belval, Grand Pré, Fleury-la- Rivière, Damery et Epernay, j'organisais le cantonnement à Pierry.
Le 21 décembre, nous partions à nouveau, à 8 heures,  passions par Chouilly, Plivot, Athis, Condé sur Marne, avant d'arriver vers 15 heures à Aigny.
L’État-major de la division se trouvait à La Veuve et le ravitaillement à Bouy.
Le 23 décembre, je logeais chez Madame Planchat et la popote était organisée chez Madame Raflin.
L'Etat-major venait de se déplacer à Bouy.






Le jour de Noël, nous avons reçu l'ordre du médecin divisionnaire d'aller dès le lendemain, avec l'ambulance 1/6, au camp de l'Ermitage situé entre la Veuve et Bouy, où nous serions en réserve dans un baraquement situé dans un bois de sapins.







Notre 42ème division d'Infanterie était alors constituée du 94ème régiment d'Infanterie, des huitième et seizième Bataillons de Chasseurs à Pied et du 332ème régiment d'Infanterie territorial.
Elle appartenait au 32ème Corps d'Armée qui était commandé provisoirement depuis le 22 décembre par le Général Deville, en remplacement du Général Debeney appelé au commandement de la VIIème Armée, et avant l'arrivée du Général Passaga. Le Colonel Boyé assurait le commandement de la 42ème division, par intérim, suite au départ du Général Deville.
Le 27 décembre, je me rendis à Châlons pour réparer notre petite voiture.
Le médecin-chef Jules Sottas avait obtenu une permission du 26 décembre au soir au 4 janvier et  Jean Caubon put partir passer la journée du 28 décembre à Paris. Le 29 décembre, le médecin aide-major Camille Massina rentrait de permission.
Ainsi se terminait l'année 1916 pour l'ambulance 1/10, au repos au camp du Bois de l'Ermitage, après avoir fait route par voie de terre, par étapes et cantonnements successifs pendant un long mois.

Au début de l'année 1917, la composition de cette ambulance 1/10 était la suivante :

  • L’État-major avec le médecin-chef Jules Sottas, les médecins traitants Maurice Rigal, Raymond Midon et Camille Massina, le chirurgien Pierre Pont, le pharmacien Jean Caubon, l'officier gestionnaire Louis Servanty et moi-même, Ernest Vidal, l'officier d'approvisionnement.
  •  Un détachement d'infirmiers avec 2 sergents, 2 caporaux, 33 infirmiers de la 10ème section d'infirmiers militaires.
  •  Un détachement du train des Équipages avec 1 maréchal des logis, 1 brigadier et 13 conducteurs.
  • 8 voitures à chevaux : celles du personnel et de chirurgie à 2 chevaux, celle d'administration à 3 chevaux, 3 fourgons à matériel et 1 fourgon à vivres à 2 chevaux, 1 voiture de réquisition à 1 cheval.
  •  22 chevaux : 16 de trait dont un nommé Bigorneau, 1 haut le pied, 5 de selle attribués au médecin-chef, à un médecin, à l'officier d'approvisionnement, au maréchal des logis et au brigadier du train des Équipages.
Le médecin-chef venait de rentrer de permission quand nous avons reçu l'ordre d'aller relever l'ambulance 13/10 à la ferme de Cuperly.  Accompagné du médecin divisionnaire et de son adjoint, des membres de l’État-major de l'ambulance, excepté les médecins Midon et Massina, je suis allé examiner les services sur place le 5 janvier au matin.
Le 7 janvier, notre formation quittait le Bois de l'Ermitage vers 7h30 pour se rendre à cette ferme distante de 16 kilomètres, en passant par Bouy et Vadenay. L'ambulance 13/10 y était installée, avec un matériel de l'armée. Des installations confortables étaient mises à notre disposition. Les chambres d'officiers et des troupes, construites en cave, étaient appréciées parce qu'elles étaient bien chaudes. Les locaux étaient vastes et pouvaient accueillir 400 blessés ou malades. Notre ambulance y fonctionnait comme centre de triage et ne gardait que les malades légers et les éclopés. Elle recevait les évacués du secteur de Saint Hilaire le Grand.
La ferme de Cuperly était une des nombreuses fermes hippiques construites autour de camp de Châlons, comme les fermes de Bouy, de Vadenay, de Piémont, de Jonchery ou de Suippes. Ces fermes, construites selon la volonté de Napoléon III, assuraient l'éducation physique et physiologique des chevaux destinés à l'armée.

Le 12 janvier, on nous avait communiqué un ordre et une consigne ayant trait aux moyens à employer en cas d'émission de gaz. Nous prenions aussi connaissance de la phrase conventionnelle qui nous serait passée quatre heures avant l'emploi des gaz : "la ration de légumes frais est maintenue" . En effet, une attaque par les gaz était prévue dans le secteur. Le 14 janvier, à 15 heures, on nous prévenait que la  ration de légumes frais serait maintenue. Nous nous attendions donc vers 19 heures, à moins d'un changement survenu dans la direction du vent, à l'attaque et aux évacuations qui auraient lieu, suite à l'intoxication atteignant quelques uns des nôtres ou la contre-attaque ennemie. Nous comptions donc sur des entrants. Mais, à 20 heures, un coup de téléphone nous apprenait que la ration de légumes n'était pas maintenue. Un changement dans l'air avait dû empêcher le projet.

Le docteur Midon partit passer 24 heures à Paris.

Le 17 janvier, encore un ordre reçu, celui de se ravitailler en vivres et en fourrage à Bouy, en viande au village de Cuperly. Le bruit courait que nous serions relevés incessamment, vers le 22,  pour partir à Fismes.

Le lendemain  notre formation était inspectée par le médecin inspecteur Boisson et l'officier d'administration Spack. Nous apprenions que nous serions relevés par l'ambulance 5/8 de la 15ème division et que nous devrions partir le 22 à midi pour Saint-Gibrien, à côté de Châlons.
J'apprenais par ailleurs, que mon frère René se trouvait dans le secteur de Fismes, après avoir fait mouvement avec le 6ème régiment d'infanterie coloniale qui appartenait à la 15ème division d'infanterie coloniale. Le quartier général de cette division venait de s' installer à Lizy sur Ourcq.




Le 22 janvier, comme prévu, nous avons quitté la ferme de Cuperly à midi, par temps difficile. Les chevaux se tenaient fort difficilement, sur un chemin couvert de 10 cm de neige et sur lequel il gelait depuis le 7 janvier.







Nous avons parcouru ainsi 20 kilomètres en passant  par Saint Etienne au Temple, Chalons et Fagnières avant d'arriver à Saint -Gibrien, sur la rive gauche de la Marne, où nous allions rester jusqu'au 25 janvier. Je pus loger chez Monsieur Perrard, dans une belle chambre, mais qui n'était pas chauffée.



Puis, le 25 janvier nous avons encore parcouru 18 kilomètres sur un chemin entièrement glissant. Partis de Saint-Gibrien à 8 heures, nous avons fait une halte à Jâlons pour le ravitaillement, puis nous sommes passés à Aigny avant de gagner Les Istres-et-Bury à 14 heures pour le cantonnement. Là, je logeais chez Monsieur Raimond, dans une belle chambre chauffée.



Le 27 janvier, nous avons parcouru encore 22 kilomètres sur une route neigeuse et glissante, en colonne avec l'ambulance 1/6 et le GBD 42. Partis à 8 heures des Istres, nous avons gagné Plivot, puis Oiry où nous avons pu nous ravitailler. Ensuite, nous avons traversé Chouilly, Cuis et Pierry avant d'arriver à 17 heures  au château de Brugny-Vaudencourt, propriété de la famille Clermont-Tonnerre, où le cantonnement de l'ambulance put se faire. De mon côté, je logeais chez Monsieur le Maire.
Le lendemain, nous quittions Brugny-Vaudancourt à 7h30 pour un trajet de 30 kilomètres. Les routes étaient encore couvertes de neige et de glace. Nous nous sommes ravitaillés à Damery. A 16h30, l'ambulance 1/10, après avoir fait halte à Saint Martin d'Ablois et à Port-à-Binson, arrivait pour le cantonnement au château de Champlat. Je retrouvais ma chambre chez Alice Didier qui m'avait logé en décembre. Pour le ravitaillement, il fallait se rendre à Damery mais aussi à Ville-en Tardenois pour la viande.


















Ma femme m'avait envoyé un colis sachant que je ne pourrai pas bénéficier d'une permission avant la fin du mois de février.  Ma petite famille attendait comme moi mon retour avec impatience.



A la mi-janvier, les troupes de la 42ème division ont été déplacées et légèrement refoulées vers Epernay pour laisser place à la brigade russe. Nous avons alors reçu l'ordre d'aller cantonner le 17 février à Pourcy.
L'ambulance 1/10 a donc quitté Champlat le 17 février à 9 heures et est arrivée à 12 heures à Pourcy. Des températures plus clémentes depuis deux jours avaient permis aux routes de dégeler. Le cantonnement fut cependant difficile à organiser car ce village n'avait que 191 habitants et un bataillon du 332ème régiment d'Infanterie devait aussi y cantonner avec une section de mitrailleuses et toute la Santé. Vingt chambres furent mises à disposition des 53 officiers. Je logeais chez Monsieur Willmann.
Le mardi 20 février, l'infirmier Guillaume Philippe, qui occupait la fonction de cuisinier à la popote des officiers, fut amputé de deux doigts, après avoir reçu malencontreusement  un coup de hachette le 16 février. On l'évacua sur l'Hôpital d'Epernay avec l'infirmier Ange-Marie Jouan, blessé à la jambe suite au choc d'un fût. Le docteur Massina fut détaché ce jour-là à Hautvillers et à 23 heures, l'ordre de partir le lendemain pour Bury nous était communiqué.
Ainsi, le lendemain à 9 heures, nous quittions Pourcy pour arriver à 18 heures à Bury, à 29 kilomètres, après avoir fait plusieurs haltes dont une pour le repas à Magenta. En passant à Champlat, j'avais pu prendre livraison de mon linge de corps laissé au lavage chez Madame Jean. Bury n'était pas une commune inconnue, nous y avions séjourné du 25 au 27 janvier.
Dès 9 heures, le 22 février, nous nous mettions à nouveau en route pour 14 kilomètres afin d'arriver à Vertus à 15 heures. Là, on a assisté à un gros mouvement de troupes. La 40ème division qui avait son État-Major à Avize se porta au Nord d'Epernay pour nous faire de la place. Je logeais chez un notaire, Monsieur Rateau.
Le quartier général de notre 42ème division cantonnait à Vertus.













Le ravitaillement se faisait à Vertus.
Ce document de 8 pages, établi pour le mois de février 1917 et signé par Monsieur Pierrot, l'Inspecteur général du Ravitaillement, me permettait de repérer le prix de toutes les denrées délivrées, à titre remboursable, par les stations- magasins.




















































































































































































































Le médecin Maurice Rigal étant rentré de permission la veille, je pus partir à mon tour pour retrouver ma famille, le mardi 27 février.

Ma fille Yvonne, en 1917








Ma petite Vovo était ravie de m'avoir auprès d'elle pour souffler, le 4 mars, ses 7 bougies.











A mon retour de permission, le 11 mars, je retrouvais la formation avec quelques changements. Le médecin Henri Minot assurait la relève de Maurice Rigal et était détaché pour l'instant à Bergères les Vertus pour assurer le service médical du dépôt divisionnaire. L'officier d'administration de 3ème classe Joseph De Laurens, originaire de Dax, assurait la relève de Louis Servanty devenu officier d'administration de 2ème classe et parti à Limoges. Camille Massina était chargé avec quelques infirmiers du service médical du Quartier Général de la  42ème division. Raymond Midon avait en charge le service médical du 2ème escadron de chasseurs à cheval. Pierre Pont partageait le service de garde journalier avec Camille Massina, Raymond Midon et des infirmiers de l'ambulance. Quelques hommes étaient détachés aux travaux des vignes. Durant mon absence, il y avait eu de fortes chutes de neige à Vertus.

Nous sommes ensuite partis le 13 mars à 7 heures pour nous rendre à Pevy, sur ordre du général Passaga commandant le 32ème Corps d'Armée. Notre itinéraire passait par Mesnil sur Oger, Oiry, Mareuil, Dizy-Magenta avant une halte pour la soirée et la nuit à Cumières, après avoir parcouru 22 kilomètres dans la journée. Le lendemain, départ de Cumières vers 7 heures pour franchir 36 kilomètres avec étapes à Hautvillers, Nanteuil la Fosse, Pourcy, Chaumuzy, Bligny, Mery, Prémecy et arriver à Germigny- Janvry à 24 heures. Après avoir organisé le cantonnement avec Camille Massina, je suis parti à cheval au devant des voitures qui avaient avancé plus lentement que le détachement, pour les diriger. Inutile de dire qu'à notre arrivée au cantonnement à 2 heures du matin, les chevaux étaient fourbus. Le 15 mars, vers 15 heures, nous sommes enfin arrivés au château de Pevy après avoir parcouru ce jour-là 10 kilomètres en 4 heures. Les officiers de l'ambulance ont occupé les chambres du château en attendant la fin de la construction d'une baraque type Chambrecy. Les infirmiers logeaient provisoirement dans une baraque d'hospitalisation. Notre détachement fut sollicité pour coopérer à l'édification des baraques du groupe hospitalier commencée le 23 février par l'ambulance 1/6.
Nous apprenions par les journaux qu'une révolution était en marche en Russie et que le tsar Nicolas II venait d' abdiquer.

C'est à Pevy que j'ai lu le roman d'Henri Barbusse, "Le feu", qui avait obtenu le prix Goncourt en novembre1916. Ce journal d'une escouade était écrit par un écrivain engagé volontaire à 41 ans qui, comme tous les combattants, avait été profondément marqué par son expérience au front.




lieu, date, et ma signature en première page du livre






Le 21 mars, l'ambulance 15/17 de la 69ème division venait se joindre à notre groupement et participer aux travaux.
Notre chirurgien Pierre Pont affecté à l'Intérieur, à la 18ème région, fut relevé le 23 mars par le médecin aide-major Laudy. Le 25 mars, jour de la mise en place de l'heure d'été,  le médecin aide-major Decoly venait de l'Intérieur, de la 12ème région, pour relever notre médecin Raymond Midon qui, tout juste rentré de permission, repartait à Troyes.  Le docteur Camille Massina partait à Oms  et le pharmacien Jean Caubon à Marmande, pour une permission d'une semaine dans leurs familles.
Les travaux de construction avançaient et le 27 mars, nous quittions les salles que nous occupions dans le château pour nous installer dans la baraque Chambrecy qui était terminée dans la partie Nord-Est du parc. De même, les infirmiers se transportaient dans une baraque Adrian de 30 mètres aménagée pour eux. Il y eut alors un extraordinaire mouvement de matériel, en vue de l'offensive prochaine.
Parti le 31 mars à Épernay, à une quarantaine de kilomètres de Pevy,  pour le ravitaillement en légumes, je rentrai au château le lendemain après avoir déjeuné à Hautvillers.
Début avril, la ferme numéro 1 qui jouxtait le parc du château put accueillir les voitures et les chevaux  et loger le détachement du train des Équipages de l'ambulance.
Le 3 avril, deux nouveaux chirurgiens furent affectés à l'ambulance : Henri Fay, originaire de Nice, venant de l'ambulance 2/55 et Eugène Vidal, originaire de Tours, venant du 267ème régiment d'Infanterie pour remplacer Monsieur Laudy muté à l'ambulance 2/55 et Monsieur Decoly muté à l'ambulance 6/6.


De Troyes, Raymond Midon m'avait envoyé cette carte postale.

"Troyes, le 3 avril.  Mon cher Vidal, tu es fixé maintenant sur mon sort, et le petit mot que j'envoie aujourd'hui aux anciens amis n'a pour autre but que de leur prouver que je pense encore à eux et de leur donner mes premières impressions sur la vie à l'intérieur. Ces quelques journées de vie de garçon qui arrivent à leur fin se sont écoulées avec une vitesse prodigieuse, le travail d'abord, le tour de garde complet (séjour à l'hôpital même la nuit) chaque 3 jours, les cinémas, courses, telles sont mes occupations. J'oublie cependant l'une des importantes : l'alimentation. Je la soigne et commence à sentir les effets d'une nourriture saine, variée et abondante. Il y aurait aussi une distraction facile à se procurer et que t'évoquera le sommet du monument ci-contre, mais je délaisse cet article, dois-je même te le dire. Je laisse ce soin à la jeunesse du pays qui ne s'en prive pas à tel point que lorsque je vois trop manifestement les démonstrations printanières, je plains bien les pauvres ermites du front. Amicale poignée de mains. Bon souvenir à tous. Midon.
Dis à Monsieur De Laurens que Mademoiselle Jeanne lui envoie son amical souvenir. J'ai apprécié les qualités de cette maîtresse femme dans l'occupation la plus respectable au front.
Midon Hôpital St Bernard numéro 40 . Troyes (Aube).
Veux-tu aller en Serbie ? On demande des volontaires de suite."
 

Le 5 avril, nous apprenions qu' un coup de main ennemi avait rendu les Allemands maîtres de Sapigneul, devant le canal de l'Aisne. Une attaque se préparait et nous avions alors reçu des ordres à ce sujet. La ville de Reims avait été violemment bombardée.
Pendant ce temps, les États-Unis déclaraient la guerre à l'Allemagne : La déclaration approuvée par le vote du Sénat le 4 avril, fut adoptée par le vote de la Chambre des Représentants le 6 avril et l'entrée en guerre des Américains au côté des Alliés fut signée par le Président Wilson.
Le 7 avril, le Général Passaga était venu visiter le Centre Hospitalier. En cette veille de Pâques, il faisait encore bien froid, avec des flocons de neige.
Le 8 avril, jour de Pâques, l'ambulance 1/64 de la 165ème division venait de se joindre à notre groupement quand la chienne Lina donna le jour à sept petits chiots. Deux m'étaient réservés. Un service de chiens de guerre avait été créé en 1915, avec environ 3000 chiens. Dressés dans des chenils militaires, ces chiens avaient un état civil, un livret militaire, une plaque d'identité et un équipement.  Entre mars 1917 et novembre 1918, 10000 chiens passèrent dans les chenils militaires. Ils étaient sentinelles ou chiens de patrouille, chiens de trait, chasseurs de rats, mascottes. Affectés dans les ambulances, les chiens sanitaires étaient chargés de retrouver les blessés. Dans les tranchées, ils servaient à prévenir des attaques d'obus ou par les gaz. En 1915, des chiens de traineaux arrivés du Québec avaient permis l'approvisionnement en armes, en munitions et en nourriture des troupes en premières lignes dans les Vosges et en Alsace, ainsi que le transport des officiers d'état-major. Des soldats conduisaient les traineaux.






J'ai retrouvé la photographie d'un des chiens de l'ambulance, prénommé Turc, qui après avoir été un peu trop enthousiaste, avait eu besoin des soins d'un médecin et d'un vétérinaire de l'ambulance.











Ici, on voit un de nos chiens qui avait participé à une chasse aux rats.









Le 11 avril, la gare de Jonchery était bombardée par avion et par canon.
Le 12 avril, quatre équipes chirurgicales étaient constituées avec le personnel des ambulances 1/6, 1/10, 1/64 et 15/17.
Le 13 avril, la 42ème division montait en ligne et une partie de son état-major s'installait à Pévy. Un médecin major de 1ère classe de l'active, médecin chef de l'ambulance 15/17, Monsieur Auguin, était nommé médecin chef du groupe des quatre ambulances, en remplacement de Jules Sottas.
Le 14 avril, le groupement entrait en fonctionnement et l'ambulance 1/10 était chargée du service des entrées et de la subsistance des hospitalisés. La SSA numéro 107, une des 148 sections sanitaires automobiles, arrivait dans notre groupe. Chaque SSA disposait d'une vingtaine de véhicules pouvant transporter ainsi 80 blessés couchés et 120 blessés assis. La SSA numéro 107 devait assurer les évacuations des blessés depuis Vaux-Varennes jusqu'aux différentes ambulances.
Le 15 avril, notre médecin Camille Massina était désigné pour assurer ses fonctions sur le champ de bataille et partait à Cormicy. Une grosse préparation d'artillerie faisait présager l'attaque pour le lendemain.

Le 16 avril, en effet, la 42ème division attaquait les positions allemandes au Nord de Berry au Bac. C'était le début de la bataille du chemin des Dames sous les ordres du Général Nivelle. Ce jour-là, je pus assister au passage de la cavalerie, avec un défilé de 65 régiments et de 60000 cavaliers. Le pessimisme était général, il y avait même, malgré des demandes pressantes et réitérées, des refus d'obéissance à des chefs qui savaient qu'ils conduisaient leurs hommes à la boucherie.
Concernant cette attaque, les buts furent atteints à l'heure indiquée. Les deuxièmes positions  du Camp de César furent prises à 13 heures par le 94ème régiment d'infanterie et  le 8ème Bataillon de chasseurs à pied. C'est alors que les tanks se mirent en action. Il y en avait 36 pour notre 42ème division. Ils montèrent toutes les pentes du Camp de César, mais les observatoires ennemis, saucisses et avions, faisaient vigilance. Un seul avion français était en l'air. Il fut pris en chasse par trois aviateurs qui l'obligèrent à atterrir vers Sapigneul. Les tanks se croyant suivis de l'infanterie qui devait, de concert avec eux, s'emparer de la tranchée, continuèrent à faire l’ascension du Camp de César. Arrivés sur la crête, un tir de barrage bien réglé mit le feu à 7 tanks et les autres continuèrent à descendre, probablement détruits ou prisonniers. Nos troupes ne purent sortir des tranchées, la 40ème division n'ayant pas atteint son but, arrêtée devant la cote 108 par des barrages et des tirs de mitrailleuses. De ce point, la 42ème division était prise en enfilade et toute sortie était impossible.
Dès le matin, les blessés affluaient. Il nous était confirmé que le Général Mazel, à la tête de notre Vème armée, serait relevé de ses fonctions, tenu responsable de cette tragédie.
Un ordre de mission m'envoya à Épernay où je pus remplir la majeure partie des ordres. Mais, ne trouvant pas le savon et la lessive nécessaire, je dus aller à Paris où j'arrivais à minuit. Je dormais à l'Hôtel du Paradis et le lendemain, après avoir fait les achats, je repartais le soir vers 20 heures. Je rentrais par Dormans où je  trouvais le gendarme Brousse. Arrivé à 5h30 à Bouleuse, j'étais à Pévy à 8 heures.
L'attaque n'ayant pas réussi comme on l'avait espéré, la cavalerie descendit et les blessés affluèrent encore le 18 avril. Nous avions ordre de monter rapidement toutes les tentes tortoises et d'installer des brancards. Il fallait suspendre les opérations chirurgicales ainsi que les piqûres et attendre. Les hôpitaux de Prouilly et de Vaux-Varennes étant embouteillés, les blessés étaient arrêtés au groupement. "L'unité doit s'effacer devant le tas" était la devise du jour. Le lendemain, les entrées étaient normales, avec moins de grands blessés.



Cette photographie a été prise le 20 avril 1917 devant le château de Pévy. On repère de part et d'autre de l'entrée deux plaques portant les mentions "Entrée de l'ambulance, route de Vaux-Varennes" et "Réservé au service de Santé, entrée interdite à toute personne étrangère au service". Je suis debout, protégeant mes yeux avec mes mains. J'allais partir à la ferme de Méry pour une rectification à faire sur un bulletin de versement.




Le lendemain, la voiture qui nous conduisait à Bouleuse pour porter Monsieur Paillard, maréchal des logis, s'est renversée avant Gueux, fort heureusement sans accident. A 3 heures, la route de Jonchery à Bouvancourt était bombardée. Quelques obus trop courts tombèrent sur Pévy, dont un à 40 centimètres de la baraque Adrian "les cyclamens" occupée par des blessés. Il fut fait diligence pour les descendre dans l'abri de bombardement. Un blessé décéda pendant le transport. Ce 21 avril, notre 32ème Corps d'armée quittait la Vème armée et passait à la Xème armée commandée par le général Duchêne.



baraque détruite par la bombe.


Le 22 avril, la 42ème division appuyait vers l'Ouest. A 23h40, un avion ennemi lançait une bombe dans le parc de notre groupement. Elle tomba sur une baraque Adrian vide située entre celle des hommes et la nôtre, à environ 5 mètres de chacune. La baraque touchée était complètement démolie. Il y eut de fortes secousses mais pas d'accident et nous avons fini la nuit dans l'abri. Trois infirmiers de l'ambulance 1/64 avaient reçu quelques petits fragments. Des éclats avaient pénétré dans dans nos chambres. L'examen des débris de la bombe révéla qu'elle était munie d'ailettes, pesait 57 kilos pour une longueur d'1,80 mètres et contenait 22 kilos d'explosifs.





La nuit suivante, après avoir fait dans la journée le ravitaillement à Jonchery, nous avions dû encore dormir dans la cave et cela fut le cas jusqu'au mois de mai.

La remise de décoration

Le 24 avril, le médecin chef Jules Sottas était décoré, ayant accédé au grade de chevalier de la légion d'honneur par décret du 14 avril. Ayant assuré dans des circonstances particulièrement critiques le traitement des blessés en se dépensant nuit et jour inlassablement dans notre groupe d'ambulances de l'avant particulièrement exposé, il était également gratifié d'une citation à l'ordre du service de santé du 32ème Corps d'armée pour son dévouement au cours des bombardements de ces derniers jours.



Le 26 avril, le général commandant notre 32ème corps d'armée recevait une note du quartier général de la Xème armée signée du général Duchêne :
"Je rappelle formellement tous les généraux, chefs de corps et de services, et tous les militaires à l'observation stricte de la note numéro 11.212 du 15 août 1916 et du télégramme numéro 6007 du 23 février 1917 du général commandant en chef, concernant les visites des parlementaires aux armées.
Il ne s'agit nullement de gêner les parlementaires dans les missions qu'ils peuvent avoir à remplir aux armées et que nous devons leur faciliter mais sans cesser d'observer les règles essentielles de la discipline. L'objet de toute mission doit être chaque fois nettement établi. Je rappelle en outre formellement que tout militaire a le devoir absolu de respecter le secret des opérations."

En cette fin du mois d'avril ensoleillée , les entrées de blessés et malades se faisaient rares.
Le 28 avril, je partis à Epernay en voiture sanitaire, faire des provisions pour le service de santé et les ambulances.

René en tenue de caporal
A mon retour, je trouvais une lettre de mon frère René datée du 21 avril, me disant être au repos à Fromentières dans la Marne, sur la ligne de Montmirail. Il nous était impossible de nous voir car son régiment venait de quitter Fromentières le 27 avril pour faire mouvement vers Ramerupt dans l'Aube. Le 6ème régiment d'infanterie coloniale auquel appartenait sa compagnie de mitrailleuses venait de participer à la bataille du chemin des Dames, alors que le 80ème bataillon de tirailleurs sénégalais lui avait été adjoint. Le 16 avril, René, soldat de 1ère classe depuis le 6 février, avait fait preuve de beaucoup de courage. Son lieutenant venant d'être tué à bout portant par un mitrailleur ennemi, il avait entraîné sa section à l'assaut d'un fortin, anéantissant tous ses défenseurs. Il avait organisé fortement la position conquise après avoir mis hors d'usage les mitrailleuses ennemies. Cet acte de bravoure avait été gratifié d'une citation à l'ordre de sa 15ème division d'infanterie coloniale. Quelques jours plus tard, le 25 avril 1917, il accédait au grade de caporal. Lors de ce combat, le 6ème régiment d'infanterie coloniale avait réussi à s'emparer de cinq lignes de tranchées et d'excellents observatoires dominant la vallée de l'Ailette. Puis, il avait su maintenir les positions conquises malgré huit contre-attaques, infligeant de lourdes pertes à l'ennemi, lui faisant des prisonniers, lui prenant des mitrailleuses et des engins de tranchées. Relevé dans la nuit du 17 au 18 avril par un bataillon du 93ème régiment d'infanterie, il avait perdu dans cette bataille 22 officiers et 700 hommes tués, blessés ou disparus et allait être cité à l'ordre de l'armée.


Le dimanche 29 avril, nous en étions au 1000ème jour de guerre. Ce jour-là, une agape était organisée pour fêter la décoration de Monsieur Sottas en présence de son remplaçant, Monsieur Auguin. Au dessert, des bombes d'avion et des culots d'obus atterrirent dans le parc. A 3 heures de l'après-midi, notre chirurgien Eugène Vidal, avec sa manie de collectionneur d'engins, nettoyait un percutant qui explosa, lui emportant la moitié de sa main gauche et trois doigts. Il fut amputé de la main quatre jours après, par le chirurgien de l'ambulance 15/17.

Le dernier jour d' avril, à 1 heure de l'après-midi, par un beau temps très clair, quatre de nos drachen avaient été descendus par un avion allemand. En allemand, le mot "drachen" désignait les ballons captifs utilisés comme observatoires ; en argot militaire français, on les nommait "saucisses". Des coups de mitrailleuses furent échangés. Les saucisses s'étant embrasées, l'enveloppe d'une d'elles tomba en flammes sur le parachute. L'observateur tomba avant de mourir quelques instants après la chute.
Dans l'après-midi, il y eut trente entrants, plusieurs blessés par nos artilleurs par défaut de pointage.

L'aviation ennemie restait très active et le 3 mai, vers 20heures, un tir contre avions provoqua l'arrivée d'un obus de 75 mm non éclaté dans l'aile droite du château, sans faire de blessés. Le lendemain, une nouvelle attaque eut lieu contre la côte 108, au niveau des grandes et petites carrières et du fort de Brimont. Le 2ème Corps d'Armée obtint de petits résultats et trois avions boches étaient descendus.

Le 5 mai, les blessés arrivaient modérément et régulièrement au groupement. Le calme étant rétabli, les permissions étaient à nouveau envisageables : notre médecin-chef put partir passer une semaine à Paris dès le 7 mai et l'officier d'administration De Laurens partit le 12 mai pour une semaine à Dax. De ce fait, je cumulais durant son absence les fonctions d'officier d'administration et d'approvisionnement.

Durant cette période, la ville de Trigny était bombardée : Le capitaine de gendarmerie De la Borie fut tué ainsi que le propriétaire de la maison qu'il habitait.
Le 10 mai, jour de mes 32 ans, je me rendis à Epernay et je découvrais les magasins Decès entièrement détruits, la synagogue abîmée dans une rue qui avait particulièrement souffert des bombardements. Madame Munier avait été tuée ainsi que deux autres personnes de cette maison.

Le 15 mai, le général Nivelle était remplacé en catastrophe par le général Pétain : Son offensive du chemin des Dames s'était soldée par un échec avec des pertes humaines et matérielles colossales sans parvenir à percer le front, et la protestation des soldats qui refusaient de monter en ligne devenait problématique.


Des ordres numéros 1045 et 1048 du 1er bureau de l’État-Major du 32ème Corps d'armée et signés du Général Passaga notifiaient des mouvements de troupes pour les journées du 13 et 16 mai : Le 1er bataillon du 237ème Régiment d'infanterie quittait Jonchery pour Savigny, les 1ers bataillons du 150ème, du 161ème et du 251ème régiments d'infanterie quittaient Savigny pour Jonchery.
La distribution de viande aux voitures à viande des 42ème et 165ème division d'infanterie ainsi qu'à des éléments de la 40ème et de la 69ème division d'infanterie devait avoir lieu à un croisement sur une route gardée, dès 6 heures.


Le 18 mai 1917, nous recevions un ordre de départ de Pévy pour le 21 mai. La 40ème division assurait la relève de la 42ème division qui partait au repos près de Romigny. Le quartier général de la 42ème division devait se rendre à Brasles, dans l'Aisne, et l'ambulance 1/10 à Gland, à 3 km de Brasles. Notre séjour dans la Marne prenait fin.

mardi 2 février 2016

*13* A Etinehem et Maricourt, dans la Somme, officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, du 24 aôut 1916 au 27 novembre 1916.

Le 24 août 1916, nous avons quitté Chenevières vers 8h pour gagner Luneville. La voiture de cuisine était partie à 6h. Notre ambulance 1/10 était remplacée à Chenevières et à Bénaménil par l'ambulance 10/8 où se trouvait affecté le Sergent Bauvet, un ami de la 19ème SIM, connu à Alger lors de mon service militaire. Je le retrouvais ainsi, par hasard, avec plaisir.
A Luneville, les hommes ont pu cantonner à la caserne Diettmann, puis le lendemain, à la caserne Clarenthal.
L'ambulance était au repos complet. Nos médecins bénéficièrent alors d'une permission, du 24 août au  3 septembre pour Pont, du 26 août au 7 septembre pour Massina. Notre officier d'administration gestionnaire Servanty eut aussi une permission à partir du 3 septembre.
Le 3 septembre, le médecin inspecteur Boppe nous a appris la mort du jeune soldat  Fernand Rossy. Nous l'avions auparavant soigné à l'ambulance et il avait succombé à ses blessures le 30 août à l'hôpital de Saint Nicolas du Port.
Le 4 septembre au matin, nous quittions Luneville pour nous rendre par voie de terre à Ceintrey, ville au bord du Madon. Lors de notre trajet, l'essieu d'un fourgon transportant du matériel se brisa. Dès notre arrivée à destination dans l'après-midi, un fourgon partit chercher le matériel et le lendemain, une équipe se déplaça pour assurer la réparation.
Le 7 septembre, nos infirmiers ont assisté à une formation, à Flavigny, pour pouvoir assurer correctement le chargement des blessés.
Partis le 10 septembre à 15h de Ceintrey, pour embarquer le 11 au soir à la gare de Pont Saint Vincent, nous sommes passés par Troyes et Verneuil, puis via la grande ceinture jusqu'à Pontoise, et ensuite Versailles, avant de débarquer le 13 septembre à 6h du matin, en gare de Grandvilliers dans l'Oise.
Le cantonnement était organisé à la ferme des Alleux, chez Madame Decaux. Quant à moi, je logeais chez Madame Campion.
L'ambulance fonctionnait près de la gare, s'occupant des soins et de la nourriture pour les blessés de la 42ème division d'Infanterie.
Le 16 septembre, les docteurs et les infirmiers de l'ambulance partirent en voiture pour se rendre en renfort à l'Hôpital numéro 15 de Cerisy-Gailly, d'une capacité de 3000 lits et avec un personnel comprenant 100 médecins et 1200 infirmiers.
Puis, le 18 septembre, le train partit de Grandvilliers pour la côte 50 à côté de Bray-sur-Somme. Nous avions reçu l'ordre de nous mettre à la disposition du 1er Corps d'Armée pour assurer la relève des ambulances 5/45 et 4/45.

carte du Front, éditeur Hatier, qui coûtait 0,15 fr. Collection privée, tous droits réservés











Durant le voyage, je regardais attentivement la carte du front numéro 10 pour localiser notre prochaine destination, Etinehem, au Sud-Ouest de Bray-sur-Somme. 



















Enfin, le 21 septembre au matin, nous nous sommes mis en mouvement pour regagner dans la matinée du 22 septembre, le centre hospitalier d'Etinehem. Nous devions y fonctionner jusqu'au 4 octobre pour le 32ème Corps d'Armée, avec les ambulances 6/6 et 3/57 pour le 6ème Corps d'Armée. La 136ème section d'autos sanitaires assurait l'évacuation des blessés. Un chapelier mazamétain de mon âge, Charles Louis Sabatié, se trouvait dans cette section, en tant que conducteur de voitures sanitaires. Il faisait partie du 8ème escadron du train des Équipages.

Général Debeney (source Wikipédia)




Le 20 septembre, le Général Marie-Eugène Debeney avait pris le commandement du 32ème Corps d'Armée, le Général Berthelot ayant été envoyé à Salonique.







A notre arrivée, trois tentes Bessonneau nous avaient été affectées pour pouvoir accueillir les blessés et leur donner des soins.
C'est alors que la 42ème division dût monter en ligne. Les 24 et 25 septembre, grâce à l'action des 151ème et 162ème régiments d'Infanterie, elle s'empara de Rancourt et poussa en avant jusqu'à la lisière du bois de Saint Pierre Vaast. Elle n'a pu être appuyée par le 94ème régiment d'Infanterie qui s'était fait décimer par les mitrailleuses du Mont Saint-Quentin. Le 26 septembre, elle appuya le 1er Corps d'Armée pour s'emparer avec les Anglais de Combles. Le hameau de Frégicourt était pris par le 162ème régiment d'Infanterie.
Sur la carte ci-dessous, j'avais positionné en rouge et en pointillés la position du front. On y repère Frégicourt noté Frégicou au Nord-Est de Combles et Rancourt noté Ranc au Sud de Frégicourt.

extrait de la carte de Lille,  Feuille 8, échelle métrique 1/320000 : document privé, tous droits réservés.

Lors de ce combat, le sous-lieutenant Max Dombre fut tué à l'âge de 25 ans, lors d'un très violent tir d'artillerie sur les premières lignes du 1er régiment d'Infanterie auquel il appartenait. Il était né à Viane, dans le Tarn, et avait fait des études au Lycée Louis Le Grand à Paris.

Le même jour, notre officier d'administration gestionnaire Servanty était détaché à l’État-major de la 42ème division pour s'occuper de la section du champ de bataille. Pendant son absence, on me confia la gestion de l'ambulance 1/10. Servanty m'avait laissé quelques consignes au sujet des états périodiques concernant  cette gestion.
Ainsi, du 1er au 15 du mois, il fallait éditer la composition de la formation en indiquant l'effectif par classes et situation militaire, pour le transmettre à Monsieur Bonnet, chef de service des Étapes.
Les 5, 15 et 25 du mois, c'était la transmission à Monsieur Bonnet de la situation dite de 5 jours, indiquant la répartition par provenances du personnel officier et des troupes, des trains, chevaux et voitures de l'ambulance.
Les 10, 20 et 30 du mois, l'édition de la feuille de prêt.
Le 30 du mois, l'édition de la feuille de présence mensuelle ou compte mensuel en journées.
Le 15 et le 30 du mois, l'édition de la situation numérique du détachement.
Le 30 du mois,  l'édition de l'état récapitulatif des denrées prises au compte du détachement, de l'état du cantonnement, du relevé des mutations du mois, de la situation numérique faisant ressortir la ration de vivres, de chauffage, de fourrage, pour les officiers et les troupes.
Et enfin, tous les jours, je transmettais à Monsieur Bonnet la situation des effectifs et la tenue du carnet administratif.   

Le 28 septembre, c'était au tour de la 40ème division d'Infanterie de monter en ligne. Le 29 septembre, elle prenait pied dans les tranchées des Portes de Fer pour s'en emparer complètement le 3 Octobre. L'attaque se poursuivit ensuite jusqu'au 6 Octobre, pour la prise de Sailly-Saillissel. Cette commune est notée Sailly au Nord-Est de Combles sur la carte ci-dessus. 
Jacques Bordes, lui aussi Tarnais, originaire du Pont-de-l'Arn, âgé de 22 ans, combattait dans la 40ème division au sein de la deuxième compagnie du161ème régiment d'Infanterie surnommé le régiment des Portes de Fer, en référence à cette position allemande si bien défendue. Le 9 octobre, il fut gravement blessé par un éclat d'obus à Sailly-Saillisel, à son poste de guetteur, au cours d'un violent bombardement. On dût le trépaner,  il fut cité à l'ordre de l'Armée et obtint la médaille militaire et la croix de guerre avec une palme de bronze. C'était un cousin germain de mon cousin Elie Raynaud. Afin de rassurer sa famille, je lui rendis visite à l'Hôpital temporaire numéro 112 où il était hospitalisé dans la salle 6. Il ne put retourner au front et fut renvoyé à l'intérieur.


les deux frères, Ernest et René Vidal se retrouvent dans la Somme
Depuis le 16 août 1916, mon frère René se trouvait aussi dans la Somme, le 6ème Régiment d'Infanterie Coloniale étant dans un secteur au Nord-Est d'Assevillers et au Nord  de Belloy-en-Santerre. On repère ces communes sur la carte au Sud-Ouest de Péronne.
J'eus le plaisir de le voir les 24, 25 septembre alors qu'il était en réserve à Assevillers, puis le 1er octobre, veille de son départ en repos.



Le 4 Octobre 1916, nous quittions Etinehem, bivouaqués, sous la direction de Monsieur Perot, médecin chef de l'ambulance 1/6 à laquelle nous étions accolés. Nous devions nous rendre à 200 mètres au Sud- Ouest de Maricourt, côte 131, dans un terrain vague sillonné de tranchées. Monsieur Pérot jugeant cet endroit inadapté, nous avait fait avancer vers Maricourt, dans des vergers,  à environ 100 mètres en avant d'un des cimetières et à droite de la gare. Les tentes Bessonneau avaient été transportées le même jour d'Etinehem à Maricourt par camions. Sur la carte du front numéro 10, on repère Maricourt au sud-ouest de Combles. Nous devions y fonctionner du 7 au 15 octobre, en tant qu'ambulances de triage et de blessés intransportables. Durant cette période, nous avions vu passer environ 1600 blessés.



Le 10 octobre, notre médecin chef Dupain ayant été muté, avait été remplacé par le médecin Jules Sottas, médecin major de 1ère classe et le médecin major Huc détaché depuis le 23 septembre à l'ambulance 1/10 avait regagné son ambulance 3/54. Monsieur Dupain partit en permission le 11 octobre pour 3 jours, à l'occasion de la naissance de sa fillette, avant de rejoindre à son retour sa nouvelle affectation à l'ambulance 6/6.


document Ernest Vidal, tous droits réservés.
Avant de quitter l'ambulance 1/10, il avait noté mon appréciation pour le troisième trimestre 1916 sur mon feuillet personnel : "Mérite les mêmes éloges. A cumulé pendant quelques temps les fonctions d'officier gestionnaire et d'officier d'approvisionnement et s'en est fort bien acquitté."




Le 15 octobre, je me rendis à Amiens avec le maréchal des logis du train pour récupérer, au bois de Gentelles, au dépôt de remonte mobile du 32ème Corps d'Armée, un cheval de trait, en remplacement de celui qui avait été évacué il y a quelques jours, suite à une blessure par éclat d'obus.

A partir du 15 octobre, Maricourt a été l'objet d'un bombardement systématique de la part de l'ennemi et l'ambulance a été passablement bombardée. Une tente Bessonneau  a été en partie enlevée et la salle d'opération a été détériorée. Heureusement, aucun blessé n'a été touché. Après avoir évacué tous les blessés, le personnel s'est abrité dans les sapes et tranchées abris.
Un boche enterré dans le coin de la tente a été projeté et mis à découvert.
Trois chevaux ont été tués et un quatrième a été abattu le lendemain, ayant été grièvement blessé. Un autre, légèrement blessé a été soigné à l'ambulance.
Les obus sont tombés au milieu de notre camp sans causer de pertes en hommes. La voiture d'administration, la voiture de chirurgie et un fourgon ont subi des dégâts.
Un obus a traversé la toiture de mon gourbi et est tombé au milieu de mon lit.

Le directeur du service de santé se déplaça pour constater les dégâts et décida de déplacer nos installations.
Le 18 octobre, nous étions portés à 1500 mètres à droite, entre Maricourt et Suzanne, où nous avons installé trois tentes Bessonneau sur la partie basse de la route. Sur la partie gauche, plus en saillie et où se trouvaient déjà des tranchées, nous avons installé nos tentes. En raison des pertes des chevaux, l'évacuation du personnel ne fut pas aisée.
Le soir, nous avons encore couché dans la tortoise, au camp de Maricourt. Vers 9 heures,au milieu d'une partie de bridge, une salve d'obus vint interrompre le jeu d'une façon un peu brusque. Les éclats tombèrent en partie sur la tente, et en vitesse, nous rejoignîmes nos gourbis. La salve fut de 8 à 10 obus, mais pas de mal pour nous.
Le 20 octobre, un bombardement dans la soirée et dans la nuit retentit sur la route de Suzanne. Vingt obus tombèrent dans les environs immédiats de notre bivouac. Nous étions alors sur le départ, après avoir reçu l'ordre de rejoindre le Bois des Célestins où nous devions rester en réserve, installés dans des baraquements du camp numéro12, avec l'ambulance 1/6. Nous y avons mené une vie plus tranquille. Servanty ayant été relevé au champ de bataille avait rejoint notre formation et était parti en permission à Paris le 22 octobre pour 48h. A son retour, je n'avais plus à m'occuper de la gestion de l'ambulance.


Un peu perturbé par les combats des jours précédents et la perspective de cette guerre qui n'était pas sur le point de se terminer, je méditais en recopiant sur mon petit carnet rouge la réponse de Jean Richepin au Kaiser Guillaume II qui lui avait fait savoir qu'il n'était qu'un voyou, après la parution de son livre sur la "Kultur":

document Ernest Vidal, tous droits réservés.
Fantôme roi, tête de mort qui cale un trône,
Empereur vérolé, de sceptre couronné,
Animal vil et bas, monstre à la face jaune,
Prussien, je te méprise et je te crache au nez,
Le chancre mord ta chair, et le remord ton âme, 
A peine cinquante ans, le siècle te maudit,
Écoute cette voix qui dans le lointain  clame :
Tu n'es plus bon à rien, meurs donc enfin, pourri !
 Oui, crève ainsi qu'un chien sur le bord d'une ornière !
Crève ainsi qu'un crapaud dans le fond d'un fossé !
Que ta race de loups s'en retourne en poussière !
Et qu'il ne reste rien de tout ton sang passé !
  César, encore un mot qu'il ne faut pas qu'on perde.
Retiens-le pour le dire à tes preux, tes amis !
Je ne suis qu'un voyou, de notre grand Paris
Mais je suis un Français, cochon, et je t'emmerde !


Le 24 octobre, six hommes des jeunes classes furent relevés. Parmi eux, se trouvait mon ordonnance Théodore Lelay, originaire de La Guerche, sur la commune de Plelo, près de Châtelaudren dans les Côtes-du-Nord. Ils ont été remplacés par six autres auxiliaires venant de l'intérieur.
 

document Ernest Vidal, tous droits réservés.
En ce mois d'octobre 1916, nous étions vivement sollicités pour souscrire au deuxième emprunt de la défense nationale. La souscription pouvait se faire entre le 5 et le 29 octobre. Exempt d'impôts, c'était un emprunt à 5%.

document Ernest Vidal, tous droits réservés.

Document Ernest Vidal, tous droits réservés.
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Nous apprenions la reprise du fort de Douaumont et du fort de Vaux à l'ennemi. Cela s'était produit le 24 octobre et le 3 novembre.



Après avoir signé ma permission le1er novembre, je pus partir avec joie retrouver ma famille dans le Tarn dès le 4 novembre.
J'ai pu ainsi éviter les bombes d'avion reçues dans le camp dans la nuit du 6 au 7 novembre et les bombardements dans les environs, les 9 et 10 novembre.
Ce fut l'occasion, avec Louise, de réunir toutes les générations de la famille pour fêter, le 7 novembre, nos huit ans de mariage. Je célébrais ainsi nos noces de coquelicot avec une pensée pour les tombes des soldats et le bord des tranchées envahis par cette fleur. Les bombardements enrichissaient les terrains crayeux en poudre de chaux, favorisant ainsi la colonisation des champs de bataille par ces fleurs rouge sang.
Je retrouvais ainsi ma grand-tante paternelle que nous appelions tante Jeanneton. Elle était veuve, âgée de  88 ans, et vivait en ces temps de guerre chez mes parents, à Mazamet.

Ce 7 novembre-là, j'ai été promu au grade d'officier d'administration de 2ème classe. Je passais du grade de sous-lieutenant d'administration au grade de lieutenant. 

A mon retour, le 15 novembre, je fus dirigé sur Montmort, dans la Marne, au siège du quartier général de la 42ème division. Puis, le 23 novembre, rappelé par dépêche à l'ambulance 1/10 pour les besoins du service, je retrouvais à 18h ma formation à Poix, dans la Somme. L'ambulance 1/10 avait été détachée de la 42ème division d'Infanterie, alors que cette dernière se dirigeait sur Montmort, pour être attachée à la 40ème division et puis au 32ème Corps d'Armée. La 40ème division était alors au repos à Poix.

Je devais organiser le départ de l'ambulance fixé au 27 novembre pour une nouvelle destination dans la Marne, loin de la bataille de la Somme qui prenait fin. Avec la participation de quatre millions d'hommes, par rotation de régiments durant 5 mois, cette sanglante bataille n'avait pas permis de spectaculaires gains territoriaux mais avait fait 1 200 000 victimes dont 200 000 Français, 500 000 Britanniques et 500 000 Allemands.