lundi 29 décembre 2014

*11* A Bayon, officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, de mars 1916 à juin 1916.





Après une permission de 12 jours,
je fis une rapide halte à Paris le 16 mars 1916, avant d'aller retrouver l'ambulance 1/10.










Comme je l'écrivis à mon épouse sur cette carte, je pensais retrouver l'ambulance 1/10 à Frévent, mais celle-ci s'était déplacée à Port-le-Grand, dans la Somme.







Je passais deux nuits à Port-le-Grand, dans une chambre chez Monsieur Duclos. L'ambulance ayant reçu l'ordre de se rendre le 18 mars à la gare d’Abbeville pour embarquer en chemin de fer, nous avons quitté Port-le-Grand le 18 mars vers 4h du matin.
 Sur cette photo, en tant qu'officier d'administration de l'ambulance 1/10, je donne des ordres pour l'embarquement :







Arrivés vers 17h30 à la gare régulatrice de Noisy-le-Sec, nous avons reçu des instructions pour poursuivre notre route par Epernay, Bar-le-Duc, Toul, Nancy, avant de débarquer à Bayon, en Meurthe-et-Moselle, le 19 mars à 16 heures où je dus organiser le cantonnement.





J'occupais une chambre dans la villa du Bosquet Estienne chez Madame Lambert, en son absence, au bout de la Moselle. La villa était confortable et il y avait un grand parc.







C'est aussi là que nous avions installé la popote.
Sur cette photo, on voit Monsieur Philippe et Monsieur Bourhis, de la classe 1902, cuisiniers de la popote des officiers, nous préparant une ragougnasse.









La section d'hôpital 1/152 qui avait fait le voyage avec nous, avait reçu l'ordre, dès le débarquement, de se rattacher à notre ambulance. Leurs hommes étaient cantonnés à l'hôtel de Lorraine et à l'hôtel du cheval blanc.

Nous restions aux Étapes du DAL désignant le Détachement de l'Armée de Lorraine, ravitaillés par la sixième division de cavalerie.
L’État-major des Étapes se trouvait à Saint Nicolas-de-Port.
Le Détachement de l'armée de Lorraine était depuis le 11 mars 1915 le nom de la VIIIème Armée et il était sous le commandement du Général Deprez. Ce Détachement était composé de plusieurs unités dont les régiments d'infanterie cantonnés à Toul, ceux de hussards cantonnés à Nancy, les bataillons de chasseurs à pied cantonnés à Saint Nicolas-de-Port et à Baccarat ainsi que des régiments de Marsouins et d'infanterie coloniale.
Chaque corps d'armée possédait une DES c'est à dire une Direction des Étapes et Services, chargée de la logistique, de l'organisation, du cantonnement et du ravitaillement des Services de Santé. Celle du DAL, à laquelle l'ambulance 1/10 appartenait, était sous les ordres du médecin Marotte.
De février à juin 1916, les Services de Santé, à la suite des attaques meurtrières allemandes, avaient dû s'adapter à des situations particulièrement dramatiques et évolutives. Il avait fallu modifier souvent les plans d'hospitalisation et d'évacuation pour assurer au mieux le ramassage, le triage, le transport et les soins spécialisés aux blessés. La zone des Étapes était la zone où s’échelonnaient tous ces mouvements.
Le 9 mars, les instructions du DAL concernant les évacuations et hospitalisations furent les suivantes :
  • les hôpitaux de 1ère ligne de St Nicolas-de-Port, Baccarat et Lunéville devaient accueillir les blessés intransportables ou nécessitant des interventions rapides.
  • les hôpitaux de 2ème ligne de Bayon, Charmes, Rambervillers et Neuves-Maisons devaient conserver  les 2/3 du nombre total de leurs lits disponibles et n'hospitaliser que des malades susceptibles d'être guéris en moins de 15 jours.
Dans chaque ville ou village, la recherche d'emplacement pour organiser la place mobilisait la DES.
A Bayon, aucune construction n'était disponible et seuls les terrains prés de la gare se prêtaient bien à l'édification des baraques. Il fallait discuter les conditions avec les propriétaires. La DES réfléchissait à la création d'un HOE c'est à dire un Hôpital d'Origine des Étapes, mais la décision n’était pas encore prise.
La bataille de Verdun avait généré la création de Groupements avancés d'ambulances situés tout près de la ligne de front et destinés à alléger la tâche des hôpitaux d'évacuation. Les HOE de 1ère ligne étaient à une dizaine de kilomètres de  ces Groupements, les HOE de 2ème ligne se trouvaient à une centaine de kilomètres, comme Bayon par rapport à Verdun.
Toute cette organisation préparée en amont  permettait aux services de santé d'évacuer des milliers de blessés.

Entre le 6 et le 15 mars, le secteur de Verdun avait été transformé en désert, pilonné de façon incessante par les obus, et ce qu'on appelait le saillant de Verdun devint une innommable boucherie pour les soldats.

Le 20 mars, en début de matinée, en prévision du passage du train présidentiel, la ligne de chemin de fer fut bombardée à Dombasle par des obus 380 qui tombèrent sur l'usine Solvay. Celle-ci  produisait quotidiennement des tonnes de soude caustique grâce au travail d'hommes non mobilisés.




Jusqu'à la fin mars, notre ambulance devait participer au montage et à l'aménagement de 3 baraques Adrian pour l'hôpital d'évacuation de Bayon, avec l'aide de la section d'hôpital 1/152.




Durant cette période, lors de mes déplacements pour le ravitaillement de l'ambulance, je découvrais des villes ignorées jusque là : Epinal, assez jolie, Nancy, charmante ville où je pus admirer la place Stanislas, la place Carrière et le palais du gouvernement, sans oublier les pépinières et la brasserie de Charmes qui a brassé de nombreuses bières dont la Kanterbrau.



Le 4 avril, nous avons eu, à l'Hôpital Complémentaire de Bayon, la visite du médecin militaire mosellan Louis Marie Adrien Boppe, venu inspecter les locaux. Il assurait ses fonctions de médecin chef supérieur du service de santé du DAL depuis le 1er avril. Il trouva l'organisation de l'hôpital satisfaisante mais il proposa de diminuer la contenance de quelques salles qu'il jugeait trop encombrées.




Le 12 avril, je découvris avec une infinie tristesse la ville de Gerbéviller. 
Les 4/5ème de cette bourgade d'environ 1800 habitants n'étaient plus qu'un amas de décombres.
Sur cette photographie, on aperçoit l'église à travers une maison en ruine.






 Sur celle-ci, on peut voir le moulin de Gerbéviller détruit pas les Boches, lors de la bataille de la trouée de Charmes, du 24 au 25 août 1914.
Après la bataille de Morhange, le Kronprinz Rupprecht de Bavière commandant la VIème armée allemande, avait reçu l'ordre d'Helmut Johannes Ludwig von Moltke d'encercler les armées françaises. Pour cela, son premier objectif avait été de s'engouffrer dans cette trouée de Charmes, espace sans fortification entre les camps retranchés de Toul et d'Epinal.





Le champ de bataille était en avant du village.
Il y avait des tombes innombrables et séparées, occupées en grande partie par des soldats du 16ème Corps d'Armée.
Sur les croix de bois portant le nom de chaque soldat enseveli, on voyait une cocarde tricolore. 




Je m'étais arrêté ensuite à Rozelieures, là où l'invasion allemande qui avait fait toutes ses victimes fut arrêtée le 25 août 1914, par la victoire de la IIème armée du général de Castelnau.

A mon retour, j'eus droit à une manifestation de mécontentement des camarades, me reprochant mon retard à la popote : "Vos minutes sont aussi précieuses que les nôtres, l'exactitude est la première qualité de l'ouvrier consciencieux, ce sont toujours les mêmes qui arrivent en retard !". Il est vrai que la ponctualité n'avait jamais fait partie de mes priorités, et je ne leur en tenais pas rigueur. Ce que j'avais vu à Gerbéviller m'avait profondément marqué et mes pensées m'éloignaient de leurs sarcasmes.

Mon frère René, incorporé à la deuxième compagnie de mitrailleuses du sixième régiment d'infanterie coloniale qui combattait dans l'Oise, dans les tranchées du bois des loges, avait été évacué malade le 1er mars 1916 et était passé au dépôt de son régiment avant d'être soigné à l'ambulance 2/5 jusqu'au 5 avril.  De  retour au combat dans les tranchées du bois des loges, à nouveau malade, il était passé au dépôt de cette compagnie le 12 avril avant d'être soigné dans la salle F de l'Hôpital Complémentaire 26 situé dans le collège municipal de Compiègne, rue d'Ulm. Cet hôpital fonctionnait depuis le 10 mars 1916 et avait une capacité d'accueil de 200 lits. Remis sur pied, il put rejoindre le 7 mai 1916 sa compagnie dans le secteur de Canny-sur-Matz et Lassigny, dans l'Oise. Les tranchées adverses étaient assez éloignées. Les soldats vivaient au rythme des bombardements intermittents et tentaient de maintenir l'ennemi en haleine. Son régiment était commandé par le Colonel Chevalier.

Mon ami Antoine Sin, sergent incorporé au 3ème régiment d'infanterie, avait été, lui aussi, hospitalisé. Il participait, le 26 avril 1916, à la défense de Nieuport, en Belgique, avec la septième compagnie, lorsque les Allemands bombardèrent le fortin de la Briqueterie avec des obus et des torpilles. Ayant reçu un éclat de torpille à la partie gauche de la tête, il fut pris en charge dès le lendemain par l'ambulance 7/15, puis le 30 avril, par l'hôpital d'évacuation numéro 10, avant d'aller à l'hôpital temporaire de Bourbourg, le 5 mai. Une fois rétabli, il avait pu rejoindre sa compagnie, le 9 mai.

Le 1er mai 1916, un rassemblement à l'initiative des Spartakistes eut lieu à Berlin. A cette occasion, Karl Liebknecht prononça un discours contre la guerre et le gouvernement allemand. Accusé de haute trahison, il fut arrêté et condamné à quatre ans d'emprisonnement.

Dès le 1er mai, le 33ème Corps d'armée se trouvait dans la région de Bayon, pour bénéficier d'une période d'instruction au camp de Saffais, après avoir quitté le front. Ce corps d'armée venait de participer aux violents combats de la bataille de Verdun, dans la région de Douaumont. Il séjourna durant deux semaines dans cette région pour exécuter des exercices et des manœuvres dans ce camp où avaient été créées des lignes de tranchées avec des boyaux de communication. Le 31ème Corps d'armée engagé dans la première bataille de la Woevre, s'était aussi retiré du front et installé dans la région de Bayon pour suivre cette même période d'instruction du 25 mai au 3 juin. Les troupes étaient ainsi mises en situation afin de préparer au mieux les combats à venir.



En ce début du mois de mai, une appréciation m'avait été donnée par Monsieur Froment, le médecin chef de l'ambulance.






Le 8 mai 1916, notre officier d'administration Fernand Robert nous quittait pour aller assurer ses fonctions à l'ambulance 5/62 à Vittel.
Le lendemain, Louis Servanty, officier d'administration de troisième classe vint le remplacer et prit la gestion de notre ambulance. Une semaine plus tard, je me déplaçais à Vittel et y rencontrais Fernand Robert avant de poster ces deux cartes à mon épouse et à ma fille.


En réponse, j'avais reçu quelques jours plus tard, une jolie carte de mes enfants me souhaitant mes 31 ans.Vovo avait apporté une grande application à sa rédaction et j'étais ému de voir ses progrès en écriture. Elle avait à peine 6 ans.


Le 9 mai, le médecin chef Ernest Froment partit pour Reillon, village situé sur le front, assurer ses fonctions au 167ème régiment d'infanterie. Afin de le remplacer, le médecin aide major de première classe Maurice Rigal, affecté à l'ambulance 1/10 depuis le 30 novembre 1915, devint notre médecin chef.
Puis, le 20 mai, le médecin aide major de deuxième classe Camille Massina, revint à l'ambulance 1/10 après un congé de convalescence d'un mois. Il avait été mobilisé dès le 3 août 1914 à l'ambulance 12/16, puis affecté à l'ambulance 1/10 à la date du  23 décembre 1915. Une belle amitié était en train de naître entre nous.
Enfin, le 28 mai, le médecin aide major de deuxième classe Pierre Libert partit pour le 50ème bataillon de chasseurs à pied du 39ème Corps d'armée qui se trouvait alors dans le secteur de Létricourt. Il fut remplacé par le médecin aide major de deuxième classe Raymond Midon.

Dès le 15 mai 1916, une offensive austro-hongroise sur le front italien baptisée "expédition punitive" et commandée par le général Franz Conrad Von Hötzendorf  avait tenté de couper la route à l'armée de l'Isonzo dans le but de prendre Venise. Appelé à la rescousse par le général italien Luigi Cadorna, le général russe Alexei Broussilov avait lancé le 4 juin une grande offensive contre les armées austro-hongroises, en Pologne et en Autriche-Hongrie, attirant ainsi de nombreux soldats austro-hongrois qui combattaient sur le front italien.

Le 31 mai et le 1er juin 1916, une confrontation entre la Royal Navy britannique et  la marine impériale allemande eut lieu au milieu de la mer du Nord, à 200 kilomètres au Nord-Ouest de la péninsule danoise du Jutland. Quatorze bâtiments britanniques et onze bâtiments allemands furent coulés et on déplora des milliers de victimes, plus nombreuses du côté britannique que du côté allemand. Cependant, la marine allemande n' obtint pas, lors de cette bataille du Jutland, le contrôle des mers, comme elle l'espérait.

Du 2 au 7 juin, la garnison du fort de Vaux commandé par le Commandant Raynal depuis le 24 mai, résista héroïquement aux attaques de la 50ème division allemande. Le fort ayant été encerclé le 2 juin, 500 hommes s'y retrouvèrent avec peu de vivres et d'eau à leur disposition. Après six jours de combats acharnés à la grenade, au lance-flamme, à la baïonnette ou à la pelle de tranchée, 250 survivants assoiffés et éreintés durent déposer les armes, le 7 juin au matin. Le lendemain, une tentative de reprise de ce fort par les hommes du 2ème Zouaves et du régiment d'infanterie colonial du Maroc, sous les ordres du Général Nivelle, échoua à son tour.

Mon beau-frère Fernand Séguier était passé au 52ème régiment d'artillerie et avait été ainsi muté au front, le 29 mai, dans ce secteur de Verdun. De la classe 1901, durant son service militaire, en mars 1904, il était devenu 1er canonnier conducteur. A partir du 31 mai, son régiment était au repos ou recevait l'ordre d'aller faire quelques positions de crête près du fort de Belleville et du fort Saint Michel situés à la périphérie de Verdun. L'action était purement défensive et il resta affecté à la 23ème section de munitions de ce régiment, dans ce secteur de Verdun, jusqu'au 20 juin.

Jusqu'au 8 juin, l'ambulance 1/10 a participé au montage des baraquements de la formation sanitaire en construction prés de la gare de Bayon, sous la direction du médecin Buy, médecin chef de l'ambulance 12/12 et des ambulances cantonnées à Bayon. Le travail se poursuivait au fur et à mesure de l'arrivée des matériaux. Les maçons de la formation construisaient les fondations en briques et cimentaient la cuisine. Les menuisiers dirigeaient la pose des planchers et le le doublage des baraques Adrian en papier ondulé. Les matériaux arrivés par wagons étaient récupérés à la gare et transportés sur le chantier de construction. On récupérait dans les usines voisines du mâchefer pour assainir le sous-sol des baraquements.
Par ailleurs, il avait été procédé au nettoyage et à l'assainissement du cantonnement de l'ambulance 1/10 situé dans la tuilerie Mongel, à Bayon, sur la route de Virecourt. Il fallait transporter dans les champs proches, des tas de fumiers accumulés là par les troupes qui y avaient précédemment cantonnés. Près des carrières à tuiles, des mares avaient été pétrolées pour lutter contre la pullulation de moustiques. L'eau du puits de la tuilerie avait été analysée au laboratoire de l'Armée, afin de vérifier qu'elle était bien potable. Un four crématoire construit avec des briques de rebut et de la terre glaise, de la tôle pour sa grille et son couvercle, avait permis d'incinérer les détritus ramassés dans le quartier.

Le 8 juin, vers 19h, nous avons reçu un ordre de départ. Le télégramme nous apprenait que nous partirions le lendemain avec la section hospitalière 1/152 pour Magnières et que l'ambulance 1/10 serait affectée à la 42ème division d'infanterie. Il nous fallait cependant attendre le retour de 14 chevaux qui avaient été détachés avec 7 conducteurs, depuis le 5 juin, à Charmes, au CVAD 1/268. Le CVAD désignait un convoi administratif. Le Quartier Général de la 42ème division venait de s'installer à Saint-Clément et les formations sanitaires de cette division se trouvaient à Magnières, en Meurthe-et-Moselle. La 42ème division appartenait jusqu'au 6 juin à la Ière Armée et avait participé à la bataille de Verdun. Le 7 juin, elle avait été rattachée au DAL.

Je me préparais donc à passer l'été 1916 en Lorraine pour continuer à assurer ma mission d'officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10.