mardi 12 décembre 2017

*17* Officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, à Ménil-la-Tour, du 21 octobre 1917 au 17 janvier 1918.

Au début du mois d'octobre 1917, alors que je profitais d'une permission dans le Tarn, j'adressais mes sentiments respectueux et dévoués au médecin chef Jules Sottas de l'ambulance 1/10, avant de rejoindre cette ambulance le 21 octobre à Trondes, en Meurthe et Moselle.  Elle s'y trouvait au repos après son départ de Verdun et venait de passer comme la 42ème division d'infanterie et le 32ème Corps d'Armée à la VIIIème armée commandée par le Général Gérard.



Durant mon voyage, je feuilletais l'agenda militaire Berger-Levrault qui couvrait la période d'octobre 1917 à septembre 1918. Une pensée me servait de marque-page.







Cet agenda donnait de multiples informations. On y trouvait les abréviations militaires, des renseignements sur les emplacements des troupes, les colonies et protectorats français, les principes de commandement, l'avancement général, l'instruction et l'éducation des troupes, l'organisation dans l'armée et les propriétés tactiques des différentes armes, l'outillage des corps de troupe, les transports par chemin de fer, l'approvisionnement et le remplacement des munitions, les effets des projectiles, les punitions, les permissions, l'hygiène et les soins aux blessés, les tarifs de solde et les allocations individuelles, les prestations d'alimentation, les indemnités pour charges de famille, le chauffage et l'éclairage, les soins envers les animaux, la tenue de campagne, les modalités de marche, le service des postes. Quelques pages vierges étaient attribuées aux notes personnelles.

Le 22 octobre, l'officier gestionnaire Joseph De Laurens et le pharmacien Marcel Vilas partaient en permission tandis que notre médecin chef Jules Sottas quittait l'ambulance, ayant été affecté au service de santé du gouvernement militaire de Paris. Le médecin major de 2ème classe Benoît Pinat arrivait le 23 octobre du Maroc pour le remplacer. Le médecin Camille Massina rentrait de permission le 27 octobre.

Le 3 novembre, par une belle après-midi ensoleillée, nous quittions Trondes à 12h30 pour nous rendre à une dizaine de kilomètres, à Ménil-la-Tour, où nous arrivions à 14h30 pour nous installer dans les locaux de l'ambulance 5/20 qui devait quitter les lieux le lendemain matin. Notre formation devait assurer les soins aux intoxiqués par les gaz. Nous relevions du médecin divisionnaire de la Division Marocaine, le docteur Spillmann.


soldat de l'ambulance posant avec les rats




Nous constations à notre arrivée des dégâts liés à la présence de rongeurs dans les locaux qui avaient besoin d'un grand nettoyage. Des nasses furent installées pour les capturer au plus vite afin de limiter les désagréments et éviter la prophylaxie de la peste. On utilisait aussi dans ce but les chiens ratiers. Par ailleurs, les soldats qui en capturaient un grand nombre pouvaient prétendre à une petite prime.
N'ayant pas encore d'hospitalisés, nous avons pu faire des travaux dans l'ambulance et assainir ce cantonnement.








Mon fils Jean, âgé de 5 ans, m'avait envoyé le 11 novembre une jolie carte postale.












Je pouvais constater ses progrès en écriture, grâce aux bons conseils de Mademoiselle Bouisset et Madame Bosc, les institutrices qui assuraient la classe aux enfants d'Albine.

Je recevais aussi des nouvelles du chirurgien Henri Fay parti en permission à Nice depuis le 9 novembre.







Durant cette permission , il avait profité d'un temps clément et rêvé à ce que l'ambulance 1/10 vienne le rejoindre là-bas, comme il me l'avait écrit sur cette carte postale m'annonçant son retour :
"temps splendide et idéal. Que n'envoie-t-on l'ambulance 1/10 par ici ? L' envierai sans peine. Au 28 en tous cas. Cordiale poignée de mains. Fay"



Mon frère René avait adressé une carte de vœux à ma femme et à mes enfants pour la nouvelle année 1918.


Il leur souhaitait la fin de la guerre pour que je puisse revenir vivre avec eux : "Ma chère Louise, ma chère Vovo, mon cher Jeannot, tous mes vœux , tous mes souhaits pour 1918 et avec à ma chère Louise la fin de la guerre. Et vous mes chers neveux la fin de la guerre aussi pour que papa revienne. Soyez bien sages et devenez des savants. René"

Le 7 décembre, j'appris que je devais me rendre à Liverdun. J'étais détaché au GBC 32 pour terminer le travail d'état civil qui m'avait été confié lors des attaques d'août 1917 à Verdun. Ma mission terminée, je regagnais l'ambulance 1/10 à Ménil-la-Tour, la veille de Noël.

La nouvelle année commençait avec une météo très froide. Notre médecin chef Pinat, parti à Saizerais, au quartier général de la 42ème division, remplacer le médecin divisionnaire Cros parti à Oran pour une permission de 32 jours, venait déjeuner à l'ambulance le 1er janvier.
Le chirurgien Henri Fay, rentré le 30 décembre de permission exceptionnelle, était des nôtres mais devait rejoindre le lendemain l'ambulance 13/11 car il y était détaché.





J'avais pris possession de mon livret de solde pour l'année 1918.

Celui-ci était signé par Monsieur Pallu, sous-intendant militaire de la 42ème division d'infanterie, et par moi-même, en date du 1er janvier.

Il précisait que depuis le mois d'octobre 1915, je déléguais à ma femme la somme de 90 francs sur ma solde.




Chaque fois que je recevrai un paiement au cours de l'année 1918, cela serait inscrit sur ce livret de 12 feuillets. Ainsi une solde mensuelle de 301.50 francs me serait créditée. A cela s'ajouterait un supplément temporaire mensuel de 88.50 francs, une indemnité journalière de frais de bureau de 3 francs, une indemnité journalière d'entretien d'harnachement de 0.15 francs, une indemnité de 25 francs pour deux enfants à charge, une allocation journalière d'usure d'effets de 2 francs, le remboursement de deux rations journalières soit 6,06 francs, une indemnité journalière de tabac de 0.40 francs.



Le 6 janvier 1918, le docteur Massina rentrait de permission prolongée de quelques jours, ayant été bloqué par la neige. Il devait assurer l’intérim  du médecin chef Pinat. Le gestionnaire De Laurens était rentré la veille d'une permission de trois jours.

Le 7 janvier, avec Marcel Vilas, nous allions faire des achats à Nancy.

Le 8 janvier, une attaque de la Division Marocaine sur les deux ailes du bois de Montmare, après une préparation d'artillerie de 12 heures, nous avait fait prendre des dispositions pour accueillir des intoxiqués qui ne vinrent pas. Lors de cette attaque, notre artillerie tira près de 60000 obus à gaz asphyxiant et il y eut environ 200 prisonniers ennemis. Le succès était relatif.

Le lendemain, le calme se rétablissait mais il y avait 10 centimètres de neige et de la gelée, le thermomètre affichait -19°C. Le projet d'établir une ambulance chirurgicale avec la 1/10 et la 13/11 entre Saizerais et Liverdun était abandonné. L’État-major du 32ème Corps d'Armée s'installait à Liverdun et à Saizerais. Ce corps d'armée venait de quitter la VIIIème armée commandée par le Général Gérard pour la Ière Armée commandée par le Général Debeney. Celui-ci remplaçait le Général Anthoine, par mutation réciproque. Ainsi, le Général Anthoine quittait la Ière Armée pour remplacer le Général Debeney comme Major général du Grand Quartier Général. Nous ne dépendions plus du médecin inspecteur Boppe du service de santé de la VIIIème armée mais du médecin  Inspecteur Ferraton en charge du service de santé de la Ière armée.

Le 10 janvier, la Division Marocaine se transportait à Andilly et nous passait le service médical de l'infirmerie du cantonnement précédemment assuré par son GBD, tandis que les services administratifs étaient transférés à notre gestionnaire. Il ne nous était pas envoyé de malades. Le trop plein de l'ambulance 1/6 avait été évacué sur Toul et l'ambulance de Manoncourt avait suffi à la Division Marocaine.

Le 11 janvier, nos locaux étaient visités par une commission médicale américaine. Cette visite leur donna satisfaction. Ces messieurs allaient prendre le secteur. Camille Massina recevait l'ordre du Ministère de rentrer à Montpellier. J'adressai une demande d'affectation au Maroc.

Le lendemain, le thermomètre affichait -20°C et malgré ce froid rigoureux, Monsieur Pinat venait de Saizerais pour déjeuner avec nous. Il nous prévenait par une note que nous serions rendus le 18 janvier à la 42ème division et que nous devrions aller à Rogéville.

Le 13 janvier, Monsieur Darin, médecin major de 2ème classe à l'ambulance 1/6, était envoyé à notre formation pour remplacer Camille Massina. Thierny recevait l'ordre de rejoindre le GBD 42 lorsqu'il serait relevé du 61ème régiment d'artillerie.
Les pourparlers se poursuivaient à Brest-Litovsk entre Russes et Allemands, malgré les exposés des buts de guerre de Lloyd George et Wilson.
Un commandant américain nommé Mackling venu à la formation pour consulter un médecin, ayant la gorge irritée, nous avoua, au grand émoi de l'interprète qui l'accompagnait, que le contingent américain en France se composait de cinq divisions à savoir la 1ère, la 2ème, la 22ème, la 32ème et la 46ème. 

Le 14 janvier, notre ami Camille Massina, relevé du front et appelé à la 16ème Région, nous quittait, emportant nos regrets. La 40ème division du 32ème Corps d'armée était relevée et apparemment remplacée par la 69ème division.

 Je passai l'après-midi à Toul avec Marcel Vilas et Joseph De Laurens. Nous avons dîné à la Comédie, le départ de notre train était prévu à 21h06. Mais, à 20h40, dans la salle des pas perdus, un message express nous prévenait que des intoxiqués étaient emmenés à l'ambulance 1/10. Il fallait rentrer immédiatement.


















Il faisait froid, le ciel était pur avec des tirs sur des avions et de nombreuses fusées sur le parc d'aviation pour prévenir les avions sortis.

Le 15 janvier, il était rentré une trentaine d'intoxiqués, la plupart de la Division Marocaine, peu atteints mais quelques uns cependant avec des phlyctènes. Les Boches arrosaient efficacement nos batteries de gaz moutarde. Nos artilleries n'avaient pu répondre. Cette émission de gaz avait eu lieu malgré une tempête de vent et de pluie qui sévissait depuis 1h du matin. Les journaux parlaient de mesures prises par l'ennemi pour une offensive prochaine, de la fermeture pour deux mois des frontières suisse et hollandaise, de la suspension des permissions. Il semblait que cette offensive aurait lieu le 27 janvier, jour de la fête de l'empereur. D'après Hutin,  cette offensive était prévue :
  •  dans les Flandres de la mer à Armentières.
  •  à la pointe de Saint-Mihiel pour prendre Verdun à revers, et sur Commery pour Bar-le Duc.
  • en Lorraine : Veho,  Reillon, avec le projet d'investir Lunéville.
Hutin était confiant, mais j'avais le regret de ne pas partager son opinion.
Les troupes américaines montaient, j'ai pu voir passer le 18ème régiment d'infanterie, cela annonçait la relève de la Division Marocaine sans tarder.

A cette date, ma loulou s'inquiétait du manque de nouvelles, la correspondance lui parvenant de façon irrégulière à Albine : "Mon chéri, je suis bien ennuyée du manque de correspondance. Je ne sais à quoi cela tient, elle ne me parvient pas régulièrement. Ainsi hier je n'ai rien eu, je n'en suis pas plus sûre aujourd'hui. Heureusement que rien ne fait supposer que quelque chose peut arriver à bref délai. Dans ce cas je serai bien inquiète. Nous allons tous bien et t'embrassons bien fort. Ta Loulou."


Je recevais aussi des nouvelles de mon frère René : Le 6ème colonial avait changé de secteur et se trouvait sur la droite de Saint-Mihiel au bois d'Ailly, dans la forêt d'Apremont.


Le lendemain, il nous arrivait encore des intoxiqués par l'ypérite ou gaz moutarde, vésicants, intoxiqués par le seul fait de vivre quelques heures sur des terrains ayant reçu des gaz qui pouvait entraîner aussi conjonctivites, sécrétions abondantes des glandes lacrymales, vomissements, brûlures aux mains, affections pulmonaires. L'ennemi pouvait envoyer au cours d'un bombardement des obus contenant un produit destiné à provoquer des éternuements et à obliger les soldats à enlever leur masque de protection. Les officiers et les hommes de troupe étaient entraînés au port du masque par des exercices fréquents et il avait été vérifié que le froid ne diminuait pas son efficacité.  Régulièrement, on faisait tester cette efficacité par un passage dans une chambre d'essai possédant des ampoules de bromure de benzyle. Le médecin divisionnaire rappelait la nécessité de garder le masque et de porter des gants spéciaux, pour se prémunir lors des attaques.
Les hommes de la 42ème division utilisaient le masque Tissot avec des cartouches à bois, invention du docteur Tissot. Plus tard, mes petits-enfants, interrogatifs, avaient découvert un tel masque lors de leurs jeux dans mon grenier.
En octobre, le médecin chef Jules Sottas avait participé à Nancy à une conférence sur la thérapeutique des intoxiqués. Le traitement consistait à  déshabiller les victimes de ces attaques chimiques, leur donner une douche chaude avec de l'eau bicarbonatée à 20 grammes par litre, sans oublier le lavage des yeux avec cette même solution. Leurs effets étaient mis à tremper dans une solution au bicarbonate de soude à 5g par litre, puis mis à sécher. Il fallait attendre plusieurs jours avant de réemployer ces effets.

Notre départ de Ménil-la-Tour étant prévu pour dans deux jours, Monsieur Spillmann nous conseillait d'évacuer les 38 hospitalisés sur Toul, nous envoyant à 15h30 quatre voitures sanitaires à cet effet. A 17h, un ordre de la 42ème division d'infanterie nous ordonnait de quitter Ménil-la-Tour dès le 17 janvier. Après quelques échanges de communications téléphoniques, à 21h, un nouvel ordre émanant du Docteur Bilouet de la 42ème division nous prescrivait de ne partir que 24h après l'arrivée des remplaçants.
La tempête s'était calmée vers 19h et le temps était au beau fixe.

Comme prévu, le 17 janvier, l'ambulance américaine numéro 13 arrivait. Durant la matinée, on évacua les intoxiqués et les hommes de l'infirmerie.
Le médecin chef arriva dès 9h, accompagné de deux autres médecins. Ils étaient fort gentils et déjeunèrent avec nous. Le personnel arriva à 14h avec le matériel transporté dans 17 camions. Deux voitures de tourisme transportaient les officiers. Les deux camions de provisions manquaient à l'appel. Ils s'étaient dirigés vers Bernécourt. A 15h, nous passions le service et tout se fit dans de bonnes conditions. Le soir, deux services de table avaient été nécessaires, nous étions seize, douze de chez eux pour quatre de chez nous. Nous apprenions que leurs divisions comprenaient apparemment 28000 hommes alors que l'effectif combattant n'était guère plus élevé que le nôtre, soit 12 à 15000 hommes.
Je voulais comprendre à quel grade correspondait chacune de leurs insignes. J'appris ainsi que les sergents avaient 1 ou 2 ou 3 triangles  suivant qu'ils étaient de section, de compagnie ou de bataillon.
Tous les officiers, quel que soit leur grade, possédaient un galon d'or sur le bras. Leur grade était indiqué par des attributs au niveau du col ou de l'épaule :
  • le galon de la manche seulement, pour le sous-lieutenant.
  • une barre blanche en métal sur l'épaule pour le lieutenant.
  • deux barres blanches en métal sur l'épaule pour le capitaine.
  • une fleur d'or sur l'épaule pour le commandant.
  • une fleur d'argent sur l'épaule pour le lieutenant-colonel
  • un aigle pour le colonel.
  • une étoile pour le lieutenant général.
  • deux étoiles pour le brigadier de division.
  • trois étoiles pour le major général.

Malgré les circonstances et ce conflit qui n'en finissait pas, nous avions passé une agréable soirée en leur compagnie. Paradoxalement, au bout de ces trois longues et rudes années, la solidarité internationale nous avait fait espérer une issue, et cette guerre avait au moins l'avantage de favoriser le tissage de liens avec des soldats de toutes nationalités.


NB : ce message s'adresse à RB qui souhaite me contacter. Il suffit de me laisser vos coordonnées à l'adresse ernestouvidal@gmail.com pour que je puisse vous répondre.

dimanche 2 juillet 2017

*16* A Verdun, durant l'été 1917, officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, puis détaché au service du champ de bataille.

De retour de permission, le 21 juin 1917, je retrouvais ma formation à Chaudrey, dans l'Aube. Partie d'Esternay le16 juin, l'Ambulance 1/10 de la 42ème division d'Infanterie y cantonnait depuis le 19 juin. Cette division bénéficiait depuis le 12 juin d'une période d'instruction dans la zone sud-ouest du Camp de Mailly située près de Chaudrey.
Le 27 juin, la 42ème division était mise provisoirement à la disposition du 15ème Corps d'Armée et devait partir pour la région Sud-Est de Verdun. Notre formation sanitaire se rendrait à Belrupt par convoi automobile, les bagages et les cuisines par voie ferrée.






Je suis à droite, sur cette photographie prise le 27 juin, à Chaudrey, quelques instants avant notre embarquement pour Belrupt.







Le convoi est arrivé le 28 juin à Belrupt. Le 30 juin, nous allions cantonner à 2 kilomètres, à Haudainville.
Le 1er juillet, la 42ème division relevait la 123ème division sur la rive droite de la Meuse, dans le secteur de Douaumont. Elle avait pour mission de défendre ce secteur et d'assurer l'organisation et l'aménagement du terrain, en vue d'opérations éventuelles.

extrait de la carte du champ de Bataille de Verdun.   échelle : 1/100000

Le 8 juillet, je me rendis à Lunéville pour l'approvisionnement. L'ambulance 1/10 devait ce jour-là se porter à Belrupt pour relever l'ambulance 13/10, dans la propriété de Monsieur Edmond Delaforge. Les locaux étaient adaptés pour le service d'hospitalisation avec à notre disposition des baraques Adrian, une baraque de triage, une salle d'opérations et une salle pour les morts. Nous devions assurer ce service avec l'ambulance 1/6.
Le 14 juillet, notre officier d'administration De Laurens partait en permission pour se reposer une semaine à Dax.
Notre arrivée dans ce secteur nous confrontait à de nombreux bombardements : Le 14 juillet, puis le 22 et le 28 juillet, la commune de Dugny était bombardée par des projectiles de 380 mm lancés par l'artillerie allemande.
Le 27 juillet, des obus boches incendiaient un dépôt de munitions situé près de la caserne Marceau. Vers 23 heures, deux explosions se faisaient ressentir sur les cloisons de nos baraques.
Le 1er août, des obus de 380 mm tombaient sur le camp Driant.
Le 15 juillet, la 42ème division avait été envoyée en repos à Laheycourt. Le groupe des ambulances 1/10 et 1/6 devait assurer à Belrupt des travaux d'aménagement des locaux.
Le 2 août, la décision de suspendre les permissions des officiers était prise.
Le 5 août, nous assistions à une conférence sur la protection contre les gaz. En effet, de nouveaux obus de 77 ou de 105 mm contenaient du sulfure d'éthyle dichloré. L'action de ce gaz était tardive et attaquait les muqueuses. Cette arme chimique à odeur de moutarde avait été utilisée pour la première fois à Ypres, en Belgique, le 11 juillet 1917. On l'appelait aussi pour ces raisons "gaz moutarde" ou "ypérite". 186 lits de notre formation étaient occupés par des intoxiqués au gaz.

Source : military-photos.com






Le Général Passaga qui commandait le 32ème Corps d'Armée auquel appartenait la 42ème division d'infanterie, monté en ligne le matin du 9 août, fut touché par un éclat d'obus à l'épaule droite. Le lendemain, il venait se faire panser dans notre ambulance.
















Le samedi 11 août, je  partais avec le docteur Camille Massina  à la caserne Marceau, ayant été détaché au service du champ de bataille.














Nous nous y installions avec 20 hommes et le lendemain on commençait les inhumations.


Je relisais les consignes à respecter en tant qu'officier d'état civil, notées par mes soins sur mon carnet rouge :

- Porter une attention toute particulière en raison de son importance à l'établissement des actes de décès. Un tel acte ne doit être dressé que lorsqu'on a la certitude absolue de l'identité du mort. Même lorsqu'on se trouve dans une région où fonctionne l'autorité civile, en plus de la déclaration au Maire, il est bon d'établir l'acte de décès. La plaque et le livret militaire sont bien des fois insuffisants pour établir l'exacte identité. Il faut des renseignements complémentaires qu'on peut avoir soit du disparu s'il a pu causer avant sa mort, soit d'un camarade le connaissant très bien. Il faut alors, si l'on juge que l'on doit dresser l'acte de décès, n'inscrire que des renseignements dont on est absolument certain (célibataire ou marié, dernier domicile ... ). Cet acte au caractère officiel ne supporte pas de ratures ou surcharges et il faut un jugement pour le détruire ou le modifier.  L'acte est adressé au Ministre de la Guerre, au bureau des archives administratives. Le Ministre en garde une copie  et un extrait est envoyé au conseil d'administration du régiment du décédé. La loi du 2 juillet 1915 impose d' y inscrire la cause de la mort (mort pour la France, tué à l'ennemi, blessures de guerre, mort en service, accident en service commandé, maladie contractée sur le champ de bataille). Il faut rajouter un papillon indiquant le genre de mort lorsque c'est par suicide ou passé par les armes. En effet, il y a une différence de pension suivant le genre de mort. L'acte avec mention "mort pour la France" ou "mort en service commandé" est envoyé au bureau des archives. Lorsqu'un doute existe,si petit soit-il, sur l'identité du décédé, on établit un procès verbal de constatation du décès. En fin de mois, on doit établir un extrait de chaque acte de décès avec un bordereau numéroté à l'appui. Le 1er jour de chaque mois, il faut établir un compte-rendu du nombre de décès survenu pendant le mois précédent.-

Le 15 août, les brancardiers du GBD 42 s'installaient au poste de secours de la citerne Marceau, après le départ du GBD 69.

Les tirs de grosses pièces continuaient sur Dugny et Belrupt, entraînant l'affluence des intoxiqués par les gaz à l'ambulance 1/10. Le 19 août, l'ambulance 3/54 venait rejoindre notre groupement d'ambulances.
Le 20 août, l'armée française attaquait les rives droite et gauche de la Meuse sur un front de 18 kilomètres de large. La 165ème division d'infanterie attaquait sur Beaumont, rive droite. La brigade Pougin de la 42ème division attaquait aussi sur la rive droite, ainsi que la 123ème, à Samogneux. La brigade marocaine de la 37ème division attaquait comme les 13ème et 16ème Corps d'Armée sur la rive gauche.

Notre groupement d'ambulance était bombardé le même jour par des obus de 380 mm dans la matinée. 
Le pharmacien de notre ambulance, Jean Caubon, s'est alors porté au secours de victimes ensevelies sous les décombres d'une maison. Malheureusement, atteint par un éclat d'obus à l'abdomen, il succomba à ses blessures durant la nuit suivante, à l'ambulance 6/6. Il n'avait que 25 ans. Nous avions fait connaissance dès mon arrivée à l'ambulance 1/10, à Frévent, en octobre 1915 et nous étions devenus des amis, au fil de ces longs mois de guerre. Originaire de Marmande, il appartenait à la 17ème section d'infirmiers militaires.

Il ne me reste que ces quelques photos de lui dans une ville bombardée où il discutait avec Camille Massina.

 
 




Nous avons fleuri sa tombe sur laquelle était inscrit "mort pour la France".
Il fut cité à l'ordre de la 2ème Armée. La citation fut adressée à son père à Marmande.









L'officier d'administration De Laurens avait aussi participé à l'évacuation des blessés et avait été cité  à l'ordre du 32ème Corps d'Armée pour avoir fait preuve d'un bel esprit de sacrifice en dirigeant l'évacuation des blessés dans des abris, en installant des postes de secours et en participant au dégagement des hommes ensevelis sous les décombres des maisons écroulées.

Suite à ce bombardement, notre groupe d'ambulances avait dû se transporter sur la colline à l'Est de Belrupt. Une vingtaine de blessés et malades couchés avaient été évacués par des voitures sanitaires sur l' HOE de Dugny, les autres hospitalisés étant dirigés sur l'infirmerie du camp Driant.

Le 26 août, à l'image de la journée du 20 août, les mêmes divisions de l'armée française attaquaient à nouveau. Durant cette semaine, il y avait eu 120000 tonnes de projectiles répandus sur ce secteur de Verdun. L'Armée française avait appliqué une stratégie purement défensive destinée à user l'adversaire. Verdun fut ainsi dégagé, avec reprise du bois des Corbeaux, des pentes Nord du Mort-Homme et de la cote 304, sur la rive gauche, tandis que la cote 344 était reconquise sur la rive droite.

Nous apprenions dans la presse que la situation était compliquée en Russie. Là-bas, les paysans s'emparaient des terres des seigneurs, sans attendre la réforme agraire promise par le gouvernement. Ils pillaient et brûlaient les demeures seigneuriales. Les soldats d'origine paysanne désertaient pour participer à la redistribution des terres et les tranchées se vidaient. Dans les villes, les pénuries se généralisaient, des milliers d'ouvriers se retrouvaient au chômage. Les grèves se multipliaient avec séquestration de patrons.

Le 1er septembre, le GBD 42 quittait Marceau, il était prévu que sa relève serait  assurée  par les GBD 128 et 69. Le GBD 42 devait se rendre, comme l'ambulance 1/10, à Villers aux vents. Là-bas, l'ambulance, étant au repos, fournissait chaque jour des hommes et des chevaux pour les travaux agricoles.

Le 2 septembre, les régiments de la 163ème division d'infanterie arrivaient pour participer à cette seconde bataille de Verdun qui se poursuivait, et le 8 septembre, une nouvelle attaque à laquelle participaient les 163ème, 128ème, 40ème et 69ème division d'infanterie, avait lieu.

Le 11 septembre, Georges Riberpray, Général de brigade de la 128ème division d'infanterie, en visitant les premières lignes, trouvait la mort au bois de Chaume après avoir été blessé par un obus .

Le roulement des régiments continuait sans cesse : Le 15 septembre, le GBD 163 venait relever le GBD 128. Le GBD 69 partait aussi le 16 septembre, la 69ème division d'infanterie étant relevée à son tour.Le 20 septembre, la 10ème division du 2ème Corps Colonial venait dans le secteur, le 23 septembre la 40ème division d'infanterie était relevée, le 24 septembre arrivait la 15ème division du 2ème Corps Colonial. Puis, le 2 octobre, le GBD 163 quittait Marceau, remplacé par le GBD de la 37ème division d'infanterie.

L'ambulance 1/10 s'était portée le 16 septembre à Génicourt-sur-Meuse pour relever l'ambulance 232 de la 131ème division d'infanterie. C'est alors que le pharmacien  Marcel Vilas avait été affecté à l'ambulance, sur ordre du Général Passaga. Marcel était passé  fin juin au 94ème régiment d'infanterie avant d'être nommé pharmacien aide major de 2ème classe de réserve à la mi juillet.  Il était en Argonne en avril 1915, avait été à Verdun en mai 1916, puis avait participé à la bataille de l'Aisne en avril  1917.

extrait de la carte du Champ de Bataille de Verdun au 1/100000ème
Le 6ème régiment d'infanterie coloniale auquel appartenait mon frère René occupait depuis le 26 septembre les tranchées du secteur des Chambrettes, dans la région Nord Est de Verdun, qu'on peut repérer sur cette carte. Jour et  nuit, des rafales d'obus de tous calibres causaient des pertes humaines dans ces tranchées peu profondes. Les ravitaillements n'y arrivaient que difficilement, les hommes étaient trempés jusqu'aux os car la pluie automnale transformait le terrain en un vaste marécage de boue. Le régiment de René devait y rester jusqu'au 13 octobre.




L'ambulance 1/10 rejoignait Sommedieue le 28 septembre, étant relevée par l'ambulance 2/55.


Le 29 septembre, avec Camille Massina, nous cessions nos fonctions à Marceau. Suite à notre investissement  dans l'assainissement du champ de bataille, nous venions d'être gratifiés d'une citation à l'ordre du 32ème Corps d'Armée.

QG, le 27 septembre 1917
Ordre général numéro 655/A
Le Général Commandant le 32ème Corps d'Armée cite à l'Ordre du Corps d'Armée, les militaires dont les noms suivent :
---------------------------------------------------
L'officier d'administration de 2ème classe, VIDAL Ernest, de l'ambulance 1/10
 "Officier d'administration d'un dévouement inlassable. Chargé, comme officier d'Etat-Civil, de l'assainissement du Champ de Bataille, pendant l'offensive d' Août et Septembre 1917, sous Verdun, s'est dépensé sans compter, jour et nuit, en parcourant les endroits les plus exposés, pour assurer sa mission, qu'il a remplie avec autant de zèle que d'intelligence." signé : PASSAGA





Après avoir passé la nuit à Génicourt où nous pensions retrouver l'ambulance 1/10, nous sommes allés la rejoindre le 30 septembre à Sommedieue. Le cantonnement s'y faisait dans la maison du sculpteur Louis Jacquot. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, des avions avaient bombardé Génicourt.
Le 2 octobre, dans la matinée, la ville de Sommedieue était bombardée par des obus de 240 mm. Plusieurs maisons furent démolies à la suite d'un passage d'avions. Suite à ce bombardement, l'ambulance devait aller cantonner dans l'après-midi au camp de Marquenterre, dans un bois, avec la consigne de masquer les voitures sous des arbres pour éviter de se faire voir.
Ayant obtenu une permission de 12 jours en même temps que le docteur Massina, nous profitions d'une voiture qui conduisait le capitaine Henri Saint Mleux du 94ème régiment d'infanterie, blessé dans le bombardement par un éclat d'obus, à l'HOE de Souilly.

Une carte reçue d'Albine m'avait fait comprendre que ma famille m'attendait avec impatience et que j'allais pouvoir essayer d'oublier Verdun en participant à la cueillette des cèpes ou des girolles qui semblaient avoir fait leur apparition dans la Montagne Noire.





vendredi 19 mai 2017

*15* Officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10 à Esternay, en juin 1917.

Le dimanche 20 mai 1917, l'ambulance 1/10 rangeait son matériel et garnissait ses fourgons, le départ de Pévy étant imminent. La voiture de chirurgie et une petite voiture ayant été rendues au train des équipages, une partie du matériel devait être abandonnée sur place. Après avoir replié les tentes tortoises, il fallait charger les voitures, l'ordre de départ étant fixé au lendemain.

Je lisais rapidement mon courrier avant le départ. Quelques cartes postales m'étaient parvenues avec beaucoup de retard.



 En ce qui concerne cette carte postée à  Cette par l'adjudant d'administration André Lanet, rien d'anormal puisqu'il l'avait envoyée au secteur postal 15 alors que le courrier de la 42ème division à laquelle appartenait l'ambulance 1/10 dépendait du secteur 35. Nous avions sympathisé quand j'étais en 1915 à l’hôpital complémentaire 22 à Rodez.





André m'indiquait dans cette carte qu'il se trouvait maintenant à l'hôpital complémentaire 52 de Cette, à sa demande. Sa fillette ayant un début d'ostéite du pied, les médecins lui avaient ordonné un séjour à la mer et il était donc là-bas avec sa femme et ses deux enfants. Son hôpital de 200 lits n'avait comme malades que des prisonniers de guerre. Monsieur Puech,  qui se trouvait avec nous en 1915 à Rodez, était son médecin chef. Il me donnait aussi des nouvelles de Monsieur Ladieu, comptable à l’hôpital de Rodez.






Une carte de Dax, postée par notre officier gestionnaire Joseph De Laurens lors de sa permission, m'était arrivée après son retour.



Originaire de cette ville où il était né en 1879, Joseph avait fait des études de droit et exerçait le métier d'avocat, avant le conflit.
Marié en 1902, il avait  trois enfants. Après sa mobilisation en 1914, il fut nommé officier d'administration de troisième classe de l'Armée Territoriale du Service de santé, le 5 mars 1915. Tout d'abord affecté au service de santé de la 18ème région à Bordeaux, il fut désigné pour la 20ème région à Troyes. Le 15 août 1916, il avait été envoyé à l'hôpital C9 de Contrexéville, puis le 20 février 1917 dirigé sur la gare régulatrice de Noisy-Le-Sec pour gagner l'Ambulance 1/10  où nous fîmes connaissance.





Ma femme m'avait envoyé plusieurs cartes, à la bonne adresse, qui étaient arrivées à destination avec beaucoup de retard. Elle trouvait aussi que ma correspondance mettait du temps à lui parvenir.





Avec le retour du printemps, elle avait pris plaisir à aller ramasser un gros fagot de houx et s'occupait intensément du jardin, pensant obtenir une bonne récolte.






Marinelle, Mathilde et Louise en 1906





Elle était ravie d'avoir eu la visite de ses cousines, Mathilde et Marinelle Lanet, qui avaient pris quelques jours de repos, étant temporairement au chômage. Elles travaillaient au Pont-de-l'arn chez Monsieur Cormouls et dans cette usine textile, comme dans d'autres, les arrivages de peaux lainées étant en forte baisse, les ouvrières avaient moins de travail.







Le conflit avait détruit l'équilibre économique du Monde entier. Dans le fret, priorité était donnée à l'alimentation et aux produits nécessaires aux usines d'armement. Le coût du transport et des assurances était devenu prohibitif. En conséquence, des stocks de peaux de moutons s'accumulaient dans leurs pays d'origine. Les transports par chemin de fer étaient perturbés, les compagnies n'ayant pas assez de wagons. Ainsi, les peaux arrivées par mer restaient bloquées dans les ports de Cette, Marseille ou Bordeaux. L'arrivée des combustibles était aussi perturbée. Les pièces de machines n'étaient plus fournies par l'ennemi. Les difficultés d'approvisionnement l'emportaient sur l'avantage tiré des commandes militaires de chaussons, gants, chaussettes, chandails, gilets, cache-nez et passe-montagnes.

A Mazamet, on payait dans les magasins avec des pièces de monnaie de nécessité gravées Alquier Frères Mazamet. La monnaie officielle manquait et les monnaies de nécessité prenaient le relai en attendant des jours meilleurs. J'en ai gardé une en souvenir de cette période.


 



Ainsi, le 21 mai, nous quittions Pévy à 6 heures, par un temps lourd et orageux. L'ambulance 1/10 était en tête, suivie par l'ambulance 1/6. La chaleur étant éprouvante, les sacs avaient été déposés sur les voitures avant le départ, afin de ne pas trop charger les hommes. Vers 16 heures, le détachement qui avait fait plusieurs haltes durant une trentaine de kilomètres, arrivait devant l'église de Sainte-Gemme. Je pus loger chez Monsieur Roger Picart.
Le lendemain, encore une trentaine de kilomètres à parcourir sous une pluie fine, pour cantonner à Gland dès 15h30 et y rester au repos durant une semaine. Je logeais chez Monsieur Sauté.
Le 29 mai, le départ était fixé à 4h45 pour gagner La Chapelle sur Chezy. Le cantonnement se faisait chez Monsieur Ernest Berenger et ma chambre était chez Monsieur Simon.



Le 30 mai, on se levait toujours très tôt pour aller cantonner à l'Hôtel du Sauvage, tenu par Madame Chemin, sur la place de Rebais, en Seine et Marne. Je dormais chez Madame Delacourt.








Le 31 mai, encore 23 kilomètres à parcourir pour se rendre à Champcenest, au château de Ferreux, où nous arrivions vers 10h.






Enfin, le 1er juin, nous nous rendions à Esternay pour y remplacer l'ambulance 210 de la 47ème division. La popote était chez Madame Dizier et ma chambre chez Madame Morize.




Notre ambulance 1/10 s'installait dans l'établissement de Monsieur Thomas, mouleur en porcelaines, dans le quartier de Retourneloup où des maisons avaient été bombardées le 6 septembre 1914, lors de la bataille des deux Morins.





Nous disposions de 20 lits d'hospitalisation et 13 étaient déjà occupés.
Camille Massina assurait chaque matin une visite médicale dans la petite salle des écoles, pour les malades des diverses batteries. Trois fois par semaine, il avait en charge les visites d'un groupe de 180 prisonniers de guerre cantonné dans le quartier du Vivier. Henri Fay s'occupait des visites et de l'hospitalisation des malades adressés au service de l'ambulance. Le médecin Mignot avait été détaché de l'ambulance 1/6 pour assurer les visites des malades d'un groupement se trouvant à Neuvy, à quelques kilomètres d'Esternay.

Notre ambulance devait reverser deux chevaux de selle, et je me suis  trouvé démonté ainsi que le docteur Massina. J'ai conduit moi-même ces chevaux à Provins, le 5 juin. Une revue de troupes de la 42ème division d'infanterie par le général Henri Gouraud y avait lieu à 10 heures, avec remise de la croix de chevalier de la légion d'honneur et de la croix de guerre à notre médecin chef.

J'ai pu ainsi passer un moment avec ma femme Louise, arrivée le 3 juin au soir à Provins. Elle était venue à Paris avec sa sœur Valérie, veuve de guerre depuis plus de deux ans. Celle-ci devait gérer sa situation de veuve dans la capitale.
Hélène et Madeleine, Louise et notre chien, Valérie et Alice

Son mari, Albert Azema était mort au tout début du conflit en septembre 1914 à Manonviller, en Meurthe et Moselle, et elle n'avait appris sa disparition qu'en octobre. Comme de nombreuses veuves, elle avait dû attendre patiemment et douloureusement que se mette en place une organisation qui lui permettrait de voir où il était mort, faire rapatrier son corps et toucher une pension. Il faut comprendre qu'au début de cette guerre, les morts étaient enterrés à la hâte près de l'endroit où ils étaient tombés. Plus tard, la loi du 2 juillet 1915 avait conféré aux soldats décédés le statut de "mort pour la France" :  Ils seraient inhumés, dans la mesure du possible, dans des cimetières collectifs mais inaccessibles aux familles et aux proches, car situés dans la zone des armées. Au printemps 1917, les veuves et les familles pouvaient obtenir un sauf-conduit pour rechercher l'emplacement du corps du soldat défunt. C'est ce que Valérie sollicita. De plus, pour faire une demande d'avance sur pension, la procédure était longue, un délai de six mois étant nécessaire entre la date de décès officiel et la clôture du dossier. Ce ne fut qu'en mai 1915 que le décès d'Albert Azema fut inscrit officiellement sur le registre d’état civil de Mazamet, donnant ainsi le statut de veuve à Valérie. Des associations, bureaux de bienfaisance, fédérations et sociétés de secours, avaient pris en charge dès la fin de 1914 les veuves et les familles  afin de les aider à survivre. La loi du 30 Mai 1916 avait été votée pour contrôler tous ces organismes. Les demandes d'avance sur pension auprès des intendants de circonscription étaient donc nécessaires pour améliorer le quotidien de ces femmes et de leur famille. Cependant, les sommes allouées étaient très faibles, elles se substituaient aux allocations données aux femmes de soldats mobilisés, et les veuves étaient étroitement surveillées, leur ceinture régulièrement mesurée, preuve d'une vie de célibataire entièrement consacrée à la mémoire de leur défunt époux.



A Provins, Louise et Valérie avaient pu aller se recueillir dans l'église Saint Quiriace,  puis admirer la tour de César. Ces magnifiques édifices avaient été construits au XIIème siècle.










Mes enfants étaient restés dans le Tarn, confiés à la famille pour ces quelques jours. Yvonne, notre fille âgée de 7 ans, en garde chez sa tante Hélène et ses cousines Alice et Madeleine, avait été contente de lire des nouvelles de sa maman.








Peu de temps après, nous nous retrouvions à Albine : Henri Fay était rentré de permission le 6 juin, je pouvais profiter à mon tour d' une pause et je pris le train le 7 juin à Provins pour Mazamet.
Durant ma permission, l'ambulance recevait l'ordre de partir à Chaudrey pour rejoindre la 42ème division qui avait fait mouvement vers le camp de Mailly. Le quartier général de la division s'était déplacé à Romilly, puis à Lhuitre.
Le médecin chef de l'ambulance transmettait le 19 juin au médecin divisionnaire les feuillets de campagne des officiers de notre formation. Une appréciation m'était destinée pour le premier semestre de 1917 :


Le 4 juin, la Chambre des députés venait de voter la confiance au gouvernement pour la poursuite de la guerre jusqu'à la restitution de l'Alsace-Lorraine.

Durant ma permission, je pris à Albine des nouvelles de l'instituteur Emile Bosc. Depuis le 14 août 1914, il était parti du port de Cette pour le Maroc et sa femme, institutrice à Albine, s'occupait de leurs deux filles. Né en 1878, il avait commencé sa carrière d'instituteur dans l'Aveyron et résidait avec sa famille à Albine depuis 1910. Nommé sergent major le 1er février 1915, il était rattaché à la 8ème compagnie dans le 2ème bataillon du 128ème régiment territorial d'infanterie. Ce bataillon avait cantonné à Tigrigra, Ito, Meknès, Timhadit et Casablanca.
Le Maroc était sous protectorat français depuis 1912. Le général Lyautey avait décidé à la déclaration de guerre de maintenir une force militaire sur place, le Maroc étant loin d'être pacifié. Les unités parties au combat en France avaient été ainsi relevées par des bataillons territoriaux envoyés dans les postes de l'avant ou pour assurer les tournées de police. Là-bas, les soldats souffraient du climat auquel ils n'étaient pas habitués, de l'insalubrité de l'eau, du manque de tout, et surtout de l'éloignement. Ils bénéficiaient de peu de permissions, vue la rareté des paquebots pouvant assurer leur retour en France. 


Je profitais de ces quelques jours de printemps en famille, immortalisés sur ces quelques photographies , en évitant de penser à mon retour à l'ambulance.