mardi 12 décembre 2017

*17* Officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, à Ménil-la-Tour, du 21 octobre 1917 au 17 janvier 1918.

Au début du mois d'octobre 1917, alors que je profitais d'une permission dans le Tarn, j'adressais mes sentiments respectueux et dévoués au médecin chef Jules Sottas de l'ambulance 1/10, avant de rejoindre cette ambulance le 21 octobre à Trondes, en Meurthe et Moselle.  Elle s'y trouvait au repos après son départ de Verdun et venait de passer comme la 42ème division d'infanterie et le 32ème Corps d'Armée à la VIIIème armée commandée par le Général Gérard.



Durant mon voyage, je feuilletais l'agenda militaire Berger-Levrault qui couvrait la période d'octobre 1917 à septembre 1918. Une pensée me servait de marque-page.







Cet agenda donnait de multiples informations. On y trouvait les abréviations militaires, des renseignements sur les emplacements des troupes, les colonies et protectorats français, les principes de commandement, l'avancement général, l'instruction et l'éducation des troupes, l'organisation dans l'armée et les propriétés tactiques des différentes armes, l'outillage des corps de troupe, les transports par chemin de fer, l'approvisionnement et le remplacement des munitions, les effets des projectiles, les punitions, les permissions, l'hygiène et les soins aux blessés, les tarifs de solde et les allocations individuelles, les prestations d'alimentation, les indemnités pour charges de famille, le chauffage et l'éclairage, les soins envers les animaux, la tenue de campagne, les modalités de marche, le service des postes. Quelques pages vierges étaient attribuées aux notes personnelles.

Le 22 octobre, l'officier gestionnaire Joseph De Laurens et le pharmacien Marcel Vilas partaient en permission tandis que notre médecin chef Jules Sottas quittait l'ambulance, ayant été affecté au service de santé du gouvernement militaire de Paris. Le médecin major de 2ème classe Benoît Pinat arrivait le 23 octobre du Maroc pour le remplacer. Le médecin Camille Massina rentrait de permission le 27 octobre.

Le 3 novembre, par une belle après-midi ensoleillée, nous quittions Trondes à 12h30 pour nous rendre à une dizaine de kilomètres, à Ménil-la-Tour, où nous arrivions à 14h30 pour nous installer dans les locaux de l'ambulance 5/20 qui devait quitter les lieux le lendemain matin. Notre formation devait assurer les soins aux intoxiqués par les gaz. Nous relevions du médecin divisionnaire de la Division Marocaine, le docteur Spillmann.


soldat de l'ambulance posant avec les rats




Nous constations à notre arrivée des dégâts liés à la présence de rongeurs dans les locaux qui avaient besoin d'un grand nettoyage. Des nasses furent installées pour les capturer au plus vite afin de limiter les désagréments et éviter la prophylaxie de la peste. On utilisait aussi dans ce but les chiens ratiers. Par ailleurs, les soldats qui en capturaient un grand nombre pouvaient prétendre à une petite prime.
N'ayant pas encore d'hospitalisés, nous avons pu faire des travaux dans l'ambulance et assainir ce cantonnement.








Mon fils Jean, âgé de 5 ans, m'avait envoyé le 11 novembre une jolie carte postale.












Je pouvais constater ses progrès en écriture, grâce aux bons conseils de Mademoiselle Bouisset et Madame Bosc, les institutrices qui assuraient la classe aux enfants d'Albine.

Je recevais aussi des nouvelles du chirurgien Henri Fay parti en permission à Nice depuis le 9 novembre.







Durant cette permission , il avait profité d'un temps clément et rêvé à ce que l'ambulance 1/10 vienne le rejoindre là-bas, comme il me l'avait écrit sur cette carte postale m'annonçant son retour :
"temps splendide et idéal. Que n'envoie-t-on l'ambulance 1/10 par ici ? L' envierai sans peine. Au 28 en tous cas. Cordiale poignée de mains. Fay"



Mon frère René avait adressé une carte de vœux à ma femme et à mes enfants pour la nouvelle année 1918.


Il leur souhaitait la fin de la guerre pour que je puisse revenir vivre avec eux : "Ma chère Louise, ma chère Vovo, mon cher Jeannot, tous mes vœux , tous mes souhaits pour 1918 et avec à ma chère Louise la fin de la guerre. Et vous mes chers neveux la fin de la guerre aussi pour que papa revienne. Soyez bien sages et devenez des savants. René"

Le 7 décembre, j'appris que je devais me rendre à Liverdun. J'étais détaché au GBC 32 pour terminer le travail d'état civil qui m'avait été confié lors des attaques d'août 1917 à Verdun. Ma mission terminée, je regagnais l'ambulance 1/10 à Ménil-la-Tour, la veille de Noël.

La nouvelle année commençait avec une météo très froide. Notre médecin chef Pinat, parti à Saizerais, au quartier général de la 42ème division, remplacer le médecin divisionnaire Cros parti à Oran pour une permission de 32 jours, venait déjeuner à l'ambulance le 1er janvier.
Le chirurgien Henri Fay, rentré le 30 décembre de permission exceptionnelle, était des nôtres mais devait rejoindre le lendemain l'ambulance 13/11 car il y était détaché.





J'avais pris possession de mon livret de solde pour l'année 1918.

Celui-ci était signé par Monsieur Pallu, sous-intendant militaire de la 42ème division d'infanterie, et par moi-même, en date du 1er janvier.

Il précisait que depuis le mois d'octobre 1915, je déléguais à ma femme la somme de 90 francs sur ma solde.




Chaque fois que je recevrai un paiement au cours de l'année 1918, cela serait inscrit sur ce livret de 12 feuillets. Ainsi une solde mensuelle de 301.50 francs me serait créditée. A cela s'ajouterait un supplément temporaire mensuel de 88.50 francs, une indemnité journalière de frais de bureau de 3 francs, une indemnité journalière d'entretien d'harnachement de 0.15 francs, une indemnité de 25 francs pour deux enfants à charge, une allocation journalière d'usure d'effets de 2 francs, le remboursement de deux rations journalières soit 6,06 francs, une indemnité journalière de tabac de 0.40 francs.



Le 6 janvier 1918, le docteur Massina rentrait de permission prolongée de quelques jours, ayant été bloqué par la neige. Il devait assurer l’intérim  du médecin chef Pinat. Le gestionnaire De Laurens était rentré la veille d'une permission de trois jours.

Le 7 janvier, avec Marcel Vilas, nous allions faire des achats à Nancy.

Le 8 janvier, une attaque de la Division Marocaine sur les deux ailes du bois de Montmare, après une préparation d'artillerie de 12 heures, nous avait fait prendre des dispositions pour accueillir des intoxiqués qui ne vinrent pas. Lors de cette attaque, notre artillerie tira près de 60000 obus à gaz asphyxiant et il y eut environ 200 prisonniers ennemis. Le succès était relatif.

Le lendemain, le calme se rétablissait mais il y avait 10 centimètres de neige et de la gelée, le thermomètre affichait -19°C. Le projet d'établir une ambulance chirurgicale avec la 1/10 et la 13/11 entre Saizerais et Liverdun était abandonné. L’État-major du 32ème Corps d'Armée s'installait à Liverdun et à Saizerais. Ce corps d'armée venait de quitter la VIIIème armée commandée par le Général Gérard pour la Ière Armée commandée par le Général Debeney. Celui-ci remplaçait le Général Anthoine, par mutation réciproque. Ainsi, le Général Anthoine quittait la Ière Armée pour remplacer le Général Debeney comme Major général du Grand Quartier Général. Nous ne dépendions plus du médecin inspecteur Boppe du service de santé de la VIIIème armée mais du médecin  Inspecteur Ferraton en charge du service de santé de la Ière armée.

Le 10 janvier, la Division Marocaine se transportait à Andilly et nous passait le service médical de l'infirmerie du cantonnement précédemment assuré par son GBD, tandis que les services administratifs étaient transférés à notre gestionnaire. Il ne nous était pas envoyé de malades. Le trop plein de l'ambulance 1/6 avait été évacué sur Toul et l'ambulance de Manoncourt avait suffi à la Division Marocaine.

Le 11 janvier, nos locaux étaient visités par une commission médicale américaine. Cette visite leur donna satisfaction. Ces messieurs allaient prendre le secteur. Camille Massina recevait l'ordre du Ministère de rentrer à Montpellier. J'adressai une demande d'affectation au Maroc.

Le lendemain, le thermomètre affichait -20°C et malgré ce froid rigoureux, Monsieur Pinat venait de Saizerais pour déjeuner avec nous. Il nous prévenait par une note que nous serions rendus le 18 janvier à la 42ème division et que nous devrions aller à Rogéville.

Le 13 janvier, Monsieur Darin, médecin major de 2ème classe à l'ambulance 1/6, était envoyé à notre formation pour remplacer Camille Massina. Thierny recevait l'ordre de rejoindre le GBD 42 lorsqu'il serait relevé du 61ème régiment d'artillerie.
Les pourparlers se poursuivaient à Brest-Litovsk entre Russes et Allemands, malgré les exposés des buts de guerre de Lloyd George et Wilson.
Un commandant américain nommé Mackling venu à la formation pour consulter un médecin, ayant la gorge irritée, nous avoua, au grand émoi de l'interprète qui l'accompagnait, que le contingent américain en France se composait de cinq divisions à savoir la 1ère, la 2ème, la 22ème, la 32ème et la 46ème. 

Le 14 janvier, notre ami Camille Massina, relevé du front et appelé à la 16ème Région, nous quittait, emportant nos regrets. La 40ème division du 32ème Corps d'armée était relevée et apparemment remplacée par la 69ème division.

 Je passai l'après-midi à Toul avec Marcel Vilas et Joseph De Laurens. Nous avons dîné à la Comédie, le départ de notre train était prévu à 21h06. Mais, à 20h40, dans la salle des pas perdus, un message express nous prévenait que des intoxiqués étaient emmenés à l'ambulance 1/10. Il fallait rentrer immédiatement.


















Il faisait froid, le ciel était pur avec des tirs sur des avions et de nombreuses fusées sur le parc d'aviation pour prévenir les avions sortis.

Le 15 janvier, il était rentré une trentaine d'intoxiqués, la plupart de la Division Marocaine, peu atteints mais quelques uns cependant avec des phlyctènes. Les Boches arrosaient efficacement nos batteries de gaz moutarde. Nos artilleries n'avaient pu répondre. Cette émission de gaz avait eu lieu malgré une tempête de vent et de pluie qui sévissait depuis 1h du matin. Les journaux parlaient de mesures prises par l'ennemi pour une offensive prochaine, de la fermeture pour deux mois des frontières suisse et hollandaise, de la suspension des permissions. Il semblait que cette offensive aurait lieu le 27 janvier, jour de la fête de l'empereur. D'après Hutin,  cette offensive était prévue :
  •  dans les Flandres de la mer à Armentières.
  •  à la pointe de Saint-Mihiel pour prendre Verdun à revers, et sur Commery pour Bar-le Duc.
  • en Lorraine : Veho,  Reillon, avec le projet d'investir Lunéville.
Hutin était confiant, mais j'avais le regret de ne pas partager son opinion.
Les troupes américaines montaient, j'ai pu voir passer le 18ème régiment d'infanterie, cela annonçait la relève de la Division Marocaine sans tarder.

A cette date, ma loulou s'inquiétait du manque de nouvelles, la correspondance lui parvenant de façon irrégulière à Albine : "Mon chéri, je suis bien ennuyée du manque de correspondance. Je ne sais à quoi cela tient, elle ne me parvient pas régulièrement. Ainsi hier je n'ai rien eu, je n'en suis pas plus sûre aujourd'hui. Heureusement que rien ne fait supposer que quelque chose peut arriver à bref délai. Dans ce cas je serai bien inquiète. Nous allons tous bien et t'embrassons bien fort. Ta Loulou."


Je recevais aussi des nouvelles de mon frère René : Le 6ème colonial avait changé de secteur et se trouvait sur la droite de Saint-Mihiel au bois d'Ailly, dans la forêt d'Apremont.


Le lendemain, il nous arrivait encore des intoxiqués par l'ypérite ou gaz moutarde, vésicants, intoxiqués par le seul fait de vivre quelques heures sur des terrains ayant reçu des gaz qui pouvait entraîner aussi conjonctivites, sécrétions abondantes des glandes lacrymales, vomissements, brûlures aux mains, affections pulmonaires. L'ennemi pouvait envoyer au cours d'un bombardement des obus contenant un produit destiné à provoquer des éternuements et à obliger les soldats à enlever leur masque de protection. Les officiers et les hommes de troupe étaient entraînés au port du masque par des exercices fréquents et il avait été vérifié que le froid ne diminuait pas son efficacité.  Régulièrement, on faisait tester cette efficacité par un passage dans une chambre d'essai possédant des ampoules de bromure de benzyle. Le médecin divisionnaire rappelait la nécessité de garder le masque et de porter des gants spéciaux, pour se prémunir lors des attaques.
Les hommes de la 42ème division utilisaient le masque Tissot avec des cartouches à bois, invention du docteur Tissot. Plus tard, mes petits-enfants, interrogatifs, avaient découvert un tel masque lors de leurs jeux dans mon grenier.
En octobre, le médecin chef Jules Sottas avait participé à Nancy à une conférence sur la thérapeutique des intoxiqués. Le traitement consistait à  déshabiller les victimes de ces attaques chimiques, leur donner une douche chaude avec de l'eau bicarbonatée à 20 grammes par litre, sans oublier le lavage des yeux avec cette même solution. Leurs effets étaient mis à tremper dans une solution au bicarbonate de soude à 5g par litre, puis mis à sécher. Il fallait attendre plusieurs jours avant de réemployer ces effets.

Notre départ de Ménil-la-Tour étant prévu pour dans deux jours, Monsieur Spillmann nous conseillait d'évacuer les 38 hospitalisés sur Toul, nous envoyant à 15h30 quatre voitures sanitaires à cet effet. A 17h, un ordre de la 42ème division d'infanterie nous ordonnait de quitter Ménil-la-Tour dès le 17 janvier. Après quelques échanges de communications téléphoniques, à 21h, un nouvel ordre émanant du Docteur Bilouet de la 42ème division nous prescrivait de ne partir que 24h après l'arrivée des remplaçants.
La tempête s'était calmée vers 19h et le temps était au beau fixe.

Comme prévu, le 17 janvier, l'ambulance américaine numéro 13 arrivait. Durant la matinée, on évacua les intoxiqués et les hommes de l'infirmerie.
Le médecin chef arriva dès 9h, accompagné de deux autres médecins. Ils étaient fort gentils et déjeunèrent avec nous. Le personnel arriva à 14h avec le matériel transporté dans 17 camions. Deux voitures de tourisme transportaient les officiers. Les deux camions de provisions manquaient à l'appel. Ils s'étaient dirigés vers Bernécourt. A 15h, nous passions le service et tout se fit dans de bonnes conditions. Le soir, deux services de table avaient été nécessaires, nous étions seize, douze de chez eux pour quatre de chez nous. Nous apprenions que leurs divisions comprenaient apparemment 28000 hommes alors que l'effectif combattant n'était guère plus élevé que le nôtre, soit 12 à 15000 hommes.
Je voulais comprendre à quel grade correspondait chacune de leurs insignes. J'appris ainsi que les sergents avaient 1 ou 2 ou 3 triangles  suivant qu'ils étaient de section, de compagnie ou de bataillon.
Tous les officiers, quel que soit leur grade, possédaient un galon d'or sur le bras. Leur grade était indiqué par des attributs au niveau du col ou de l'épaule :
  • le galon de la manche seulement, pour le sous-lieutenant.
  • une barre blanche en métal sur l'épaule pour le lieutenant.
  • deux barres blanches en métal sur l'épaule pour le capitaine.
  • une fleur d'or sur l'épaule pour le commandant.
  • une fleur d'argent sur l'épaule pour le lieutenant-colonel
  • un aigle pour le colonel.
  • une étoile pour le lieutenant général.
  • deux étoiles pour le brigadier de division.
  • trois étoiles pour le major général.

Malgré les circonstances et ce conflit qui n'en finissait pas, nous avions passé une agréable soirée en leur compagnie. Paradoxalement, au bout de ces trois longues et rudes années, la solidarité internationale nous avait fait espérer une issue, et cette guerre avait au moins l'avantage de favoriser le tissage de liens avec des soldats de toutes nationalités.


NB : ce message s'adresse à RB qui souhaite me contacter. Il suffit de me laisser vos coordonnées à l'adresse ernestouvidal@gmail.com pour que je puisse vous répondre.

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