mardi 2 février 2016

*13* A Etinehem et Maricourt, dans la Somme, officier d'approvisionnement de l'ambulance 1/10, du 24 aôut 1916 au 27 novembre 1916.

Le 24 août 1916, nous avons quitté Chenevières vers 8h pour gagner Luneville. La voiture de cuisine était partie à 6h. Notre ambulance 1/10 était remplacée à Chenevières et à Bénaménil par l'ambulance 10/8 où se trouvait affecté le Sergent Bauvet, un ami de la 19ème SIM, connu à Alger lors de mon service militaire. Je le retrouvais ainsi, par hasard, avec plaisir.
A Luneville, les hommes ont pu cantonner à la caserne Diettmann, puis le lendemain, à la caserne Clarenthal.
L'ambulance était au repos complet. Nos médecins bénéficièrent alors d'une permission, du 24 août au  3 septembre pour Pont, du 26 août au 7 septembre pour Massina. Notre officier d'administration gestionnaire Servanty eut aussi une permission à partir du 3 septembre.
Le 3 septembre, le médecin inspecteur Boppe nous a appris la mort du jeune soldat  Fernand Rossy. Nous l'avions auparavant soigné à l'ambulance et il avait succombé à ses blessures le 30 août à l'hôpital de Saint Nicolas du Port.
Le 4 septembre au matin, nous quittions Luneville pour nous rendre par voie de terre à Ceintrey, ville au bord du Madon. Lors de notre trajet, l'essieu d'un fourgon transportant du matériel se brisa. Dès notre arrivée à destination dans l'après-midi, un fourgon partit chercher le matériel et le lendemain, une équipe se déplaça pour assurer la réparation.
Le 7 septembre, nos infirmiers ont assisté à une formation, à Flavigny, pour pouvoir assurer correctement le chargement des blessés.
Partis le 10 septembre à 15h de Ceintrey, pour embarquer le 11 au soir à la gare de Pont Saint Vincent, nous sommes passés par Troyes et Verneuil, puis via la grande ceinture jusqu'à Pontoise, et ensuite Versailles, avant de débarquer le 13 septembre à 6h du matin, en gare de Grandvilliers dans l'Oise.
Le cantonnement était organisé à la ferme des Alleux, chez Madame Decaux. Quant à moi, je logeais chez Madame Campion.
L'ambulance fonctionnait près de la gare, s'occupant des soins et de la nourriture pour les blessés de la 42ème division d'Infanterie.
Le 16 septembre, les docteurs et les infirmiers de l'ambulance partirent en voiture pour se rendre en renfort à l'Hôpital numéro 15 de Cerisy-Gailly, d'une capacité de 3000 lits et avec un personnel comprenant 100 médecins et 1200 infirmiers.
Puis, le 18 septembre, le train partit de Grandvilliers pour la côte 50 à côté de Bray-sur-Somme. Nous avions reçu l'ordre de nous mettre à la disposition du 1er Corps d'Armée pour assurer la relève des ambulances 5/45 et 4/45.

carte du Front, éditeur Hatier, qui coûtait 0,15 fr. Collection privée, tous droits réservés











Durant le voyage, je regardais attentivement la carte du front numéro 10 pour localiser notre prochaine destination, Etinehem, au Sud-Ouest de Bray-sur-Somme. 



















Enfin, le 21 septembre au matin, nous nous sommes mis en mouvement pour regagner dans la matinée du 22 septembre, le centre hospitalier d'Etinehem. Nous devions y fonctionner jusqu'au 4 octobre pour le 32ème Corps d'Armée, avec les ambulances 6/6 et 3/57 pour le 6ème Corps d'Armée. La 136ème section d'autos sanitaires assurait l'évacuation des blessés. Un chapelier mazamétain de mon âge, Charles Louis Sabatié, se trouvait dans cette section, en tant que conducteur de voitures sanitaires. Il faisait partie du 8ème escadron du train des Équipages.

Général Debeney (source Wikipédia)




Le 20 septembre, le Général Marie-Eugène Debeney avait pris le commandement du 32ème Corps d'Armée, le Général Berthelot ayant été envoyé à Salonique.







A notre arrivée, trois tentes Bessonneau nous avaient été affectées pour pouvoir accueillir les blessés et leur donner des soins.
C'est alors que la 42ème division dût monter en ligne. Les 24 et 25 septembre, grâce à l'action des 151ème et 162ème régiments d'Infanterie, elle s'empara de Rancourt et poussa en avant jusqu'à la lisière du bois de Saint Pierre Vaast. Elle n'a pu être appuyée par le 94ème régiment d'Infanterie qui s'était fait décimer par les mitrailleuses du Mont Saint-Quentin. Le 26 septembre, elle appuya le 1er Corps d'Armée pour s'emparer avec les Anglais de Combles. Le hameau de Frégicourt était pris par le 162ème régiment d'Infanterie.
Sur la carte ci-dessous, j'avais positionné en rouge et en pointillés la position du front. On y repère Frégicourt noté Frégicou au Nord-Est de Combles et Rancourt noté Ranc au Sud de Frégicourt.

extrait de la carte de Lille,  Feuille 8, échelle métrique 1/320000 : document privé, tous droits réservés.

Lors de ce combat, le sous-lieutenant Max Dombre fut tué à l'âge de 25 ans, lors d'un très violent tir d'artillerie sur les premières lignes du 1er régiment d'Infanterie auquel il appartenait. Il était né à Viane, dans le Tarn, et avait fait des études au Lycée Louis Le Grand à Paris.

Le même jour, notre officier d'administration gestionnaire Servanty était détaché à l’État-major de la 42ème division pour s'occuper de la section du champ de bataille. Pendant son absence, on me confia la gestion de l'ambulance 1/10. Servanty m'avait laissé quelques consignes au sujet des états périodiques concernant  cette gestion.
Ainsi, du 1er au 15 du mois, il fallait éditer la composition de la formation en indiquant l'effectif par classes et situation militaire, pour le transmettre à Monsieur Bonnet, chef de service des Étapes.
Les 5, 15 et 25 du mois, c'était la transmission à Monsieur Bonnet de la situation dite de 5 jours, indiquant la répartition par provenances du personnel officier et des troupes, des trains, chevaux et voitures de l'ambulance.
Les 10, 20 et 30 du mois, l'édition de la feuille de prêt.
Le 30 du mois, l'édition de la feuille de présence mensuelle ou compte mensuel en journées.
Le 15 et le 30 du mois, l'édition de la situation numérique du détachement.
Le 30 du mois,  l'édition de l'état récapitulatif des denrées prises au compte du détachement, de l'état du cantonnement, du relevé des mutations du mois, de la situation numérique faisant ressortir la ration de vivres, de chauffage, de fourrage, pour les officiers et les troupes.
Et enfin, tous les jours, je transmettais à Monsieur Bonnet la situation des effectifs et la tenue du carnet administratif.   

Le 28 septembre, c'était au tour de la 40ème division d'Infanterie de monter en ligne. Le 29 septembre, elle prenait pied dans les tranchées des Portes de Fer pour s'en emparer complètement le 3 Octobre. L'attaque se poursuivit ensuite jusqu'au 6 Octobre, pour la prise de Sailly-Saillissel. Cette commune est notée Sailly au Nord-Est de Combles sur la carte ci-dessus. 
Jacques Bordes, lui aussi Tarnais, originaire du Pont-de-l'Arn, âgé de 22 ans, combattait dans la 40ème division au sein de la deuxième compagnie du161ème régiment d'Infanterie surnommé le régiment des Portes de Fer, en référence à cette position allemande si bien défendue. Le 9 octobre, il fut gravement blessé par un éclat d'obus à Sailly-Saillisel, à son poste de guetteur, au cours d'un violent bombardement. On dût le trépaner,  il fut cité à l'ordre de l'Armée et obtint la médaille militaire et la croix de guerre avec une palme de bronze. C'était un cousin germain de mon cousin Elie Raynaud. Afin de rassurer sa famille, je lui rendis visite à l'Hôpital temporaire numéro 112 où il était hospitalisé dans la salle 6. Il ne put retourner au front et fut renvoyé à l'intérieur.


les deux frères, Ernest et René Vidal se retrouvent dans la Somme
Depuis le 16 août 1916, mon frère René se trouvait aussi dans la Somme, le 6ème Régiment d'Infanterie Coloniale étant dans un secteur au Nord-Est d'Assevillers et au Nord  de Belloy-en-Santerre. On repère ces communes sur la carte au Sud-Ouest de Péronne.
J'eus le plaisir de le voir les 24, 25 septembre alors qu'il était en réserve à Assevillers, puis le 1er octobre, veille de son départ en repos.



Le 4 Octobre 1916, nous quittions Etinehem, bivouaqués, sous la direction de Monsieur Perot, médecin chef de l'ambulance 1/6 à laquelle nous étions accolés. Nous devions nous rendre à 200 mètres au Sud- Ouest de Maricourt, côte 131, dans un terrain vague sillonné de tranchées. Monsieur Pérot jugeant cet endroit inadapté, nous avait fait avancer vers Maricourt, dans des vergers,  à environ 100 mètres en avant d'un des cimetières et à droite de la gare. Les tentes Bessonneau avaient été transportées le même jour d'Etinehem à Maricourt par camions. Sur la carte du front numéro 10, on repère Maricourt au sud-ouest de Combles. Nous devions y fonctionner du 7 au 15 octobre, en tant qu'ambulances de triage et de blessés intransportables. Durant cette période, nous avions vu passer environ 1600 blessés.



Le 10 octobre, notre médecin chef Dupain ayant été muté, avait été remplacé par le médecin Jules Sottas, médecin major de 1ère classe et le médecin major Huc détaché depuis le 23 septembre à l'ambulance 1/10 avait regagné son ambulance 3/54. Monsieur Dupain partit en permission le 11 octobre pour 3 jours, à l'occasion de la naissance de sa fillette, avant de rejoindre à son retour sa nouvelle affectation à l'ambulance 6/6.


document Ernest Vidal, tous droits réservés.
Avant de quitter l'ambulance 1/10, il avait noté mon appréciation pour le troisième trimestre 1916 sur mon feuillet personnel : "Mérite les mêmes éloges. A cumulé pendant quelques temps les fonctions d'officier gestionnaire et d'officier d'approvisionnement et s'en est fort bien acquitté."




Le 15 octobre, je me rendis à Amiens avec le maréchal des logis du train pour récupérer, au bois de Gentelles, au dépôt de remonte mobile du 32ème Corps d'Armée, un cheval de trait, en remplacement de celui qui avait été évacué il y a quelques jours, suite à une blessure par éclat d'obus.

A partir du 15 octobre, Maricourt a été l'objet d'un bombardement systématique de la part de l'ennemi et l'ambulance a été passablement bombardée. Une tente Bessonneau  a été en partie enlevée et la salle d'opération a été détériorée. Heureusement, aucun blessé n'a été touché. Après avoir évacué tous les blessés, le personnel s'est abrité dans les sapes et tranchées abris.
Un boche enterré dans le coin de la tente a été projeté et mis à découvert.
Trois chevaux ont été tués et un quatrième a été abattu le lendemain, ayant été grièvement blessé. Un autre, légèrement blessé a été soigné à l'ambulance.
Les obus sont tombés au milieu de notre camp sans causer de pertes en hommes. La voiture d'administration, la voiture de chirurgie et un fourgon ont subi des dégâts.
Un obus a traversé la toiture de mon gourbi et est tombé au milieu de mon lit.

Le directeur du service de santé se déplaça pour constater les dégâts et décida de déplacer nos installations.
Le 18 octobre, nous étions portés à 1500 mètres à droite, entre Maricourt et Suzanne, où nous avons installé trois tentes Bessonneau sur la partie basse de la route. Sur la partie gauche, plus en saillie et où se trouvaient déjà des tranchées, nous avons installé nos tentes. En raison des pertes des chevaux, l'évacuation du personnel ne fut pas aisée.
Le soir, nous avons encore couché dans la tortoise, au camp de Maricourt. Vers 9 heures,au milieu d'une partie de bridge, une salve d'obus vint interrompre le jeu d'une façon un peu brusque. Les éclats tombèrent en partie sur la tente, et en vitesse, nous rejoignîmes nos gourbis. La salve fut de 8 à 10 obus, mais pas de mal pour nous.
Le 20 octobre, un bombardement dans la soirée et dans la nuit retentit sur la route de Suzanne. Vingt obus tombèrent dans les environs immédiats de notre bivouac. Nous étions alors sur le départ, après avoir reçu l'ordre de rejoindre le Bois des Célestins où nous devions rester en réserve, installés dans des baraquements du camp numéro12, avec l'ambulance 1/6. Nous y avons mené une vie plus tranquille. Servanty ayant été relevé au champ de bataille avait rejoint notre formation et était parti en permission à Paris le 22 octobre pour 48h. A son retour, je n'avais plus à m'occuper de la gestion de l'ambulance.


Un peu perturbé par les combats des jours précédents et la perspective de cette guerre qui n'était pas sur le point de se terminer, je méditais en recopiant sur mon petit carnet rouge la réponse de Jean Richepin au Kaiser Guillaume II qui lui avait fait savoir qu'il n'était qu'un voyou, après la parution de son livre sur la "Kultur":

document Ernest Vidal, tous droits réservés.
Fantôme roi, tête de mort qui cale un trône,
Empereur vérolé, de sceptre couronné,
Animal vil et bas, monstre à la face jaune,
Prussien, je te méprise et je te crache au nez,
Le chancre mord ta chair, et le remord ton âme, 
A peine cinquante ans, le siècle te maudit,
Écoute cette voix qui dans le lointain  clame :
Tu n'es plus bon à rien, meurs donc enfin, pourri !
 Oui, crève ainsi qu'un chien sur le bord d'une ornière !
Crève ainsi qu'un crapaud dans le fond d'un fossé !
Que ta race de loups s'en retourne en poussière !
Et qu'il ne reste rien de tout ton sang passé !
  César, encore un mot qu'il ne faut pas qu'on perde.
Retiens-le pour le dire à tes preux, tes amis !
Je ne suis qu'un voyou, de notre grand Paris
Mais je suis un Français, cochon, et je t'emmerde !


Le 24 octobre, six hommes des jeunes classes furent relevés. Parmi eux, se trouvait mon ordonnance Théodore Lelay, originaire de La Guerche, sur la commune de Plelo, près de Châtelaudren dans les Côtes-du-Nord. Ils ont été remplacés par six autres auxiliaires venant de l'intérieur.
 

document Ernest Vidal, tous droits réservés.
En ce mois d'octobre 1916, nous étions vivement sollicités pour souscrire au deuxième emprunt de la défense nationale. La souscription pouvait se faire entre le 5 et le 29 octobre. Exempt d'impôts, c'était un emprunt à 5%.

document Ernest Vidal, tous droits réservés.

Document Ernest Vidal, tous droits réservés.
Document Ernest Vidal, tous droits réservés.





















Nous apprenions la reprise du fort de Douaumont et du fort de Vaux à l'ennemi. Cela s'était produit le 24 octobre et le 3 novembre.



Après avoir signé ma permission le1er novembre, je pus partir avec joie retrouver ma famille dans le Tarn dès le 4 novembre.
J'ai pu ainsi éviter les bombes d'avion reçues dans le camp dans la nuit du 6 au 7 novembre et les bombardements dans les environs, les 9 et 10 novembre.
Ce fut l'occasion, avec Louise, de réunir toutes les générations de la famille pour fêter, le 7 novembre, nos huit ans de mariage. Je célébrais ainsi nos noces de coquelicot avec une pensée pour les tombes des soldats et le bord des tranchées envahis par cette fleur. Les bombardements enrichissaient les terrains crayeux en poudre de chaux, favorisant ainsi la colonisation des champs de bataille par ces fleurs rouge sang.
Je retrouvais ainsi ma grand-tante paternelle que nous appelions tante Jeanneton. Elle était veuve, âgée de  88 ans, et vivait en ces temps de guerre chez mes parents, à Mazamet.

Ce 7 novembre-là, j'ai été promu au grade d'officier d'administration de 2ème classe. Je passais du grade de sous-lieutenant d'administration au grade de lieutenant. 

A mon retour, le 15 novembre, je fus dirigé sur Montmort, dans la Marne, au siège du quartier général de la 42ème division. Puis, le 23 novembre, rappelé par dépêche à l'ambulance 1/10 pour les besoins du service, je retrouvais à 18h ma formation à Poix, dans la Somme. L'ambulance 1/10 avait été détachée de la 42ème division d'Infanterie, alors que cette dernière se dirigeait sur Montmort, pour être attachée à la 40ème division et puis au 32ème Corps d'Armée. La 40ème division était alors au repos à Poix.

Je devais organiser le départ de l'ambulance fixé au 27 novembre pour une nouvelle destination dans la Marne, loin de la bataille de la Somme qui prenait fin. Avec la participation de quatre millions d'hommes, par rotation de régiments durant 5 mois, cette sanglante bataille n'avait pas permis de spectaculaires gains territoriaux mais avait fait 1 200 000 victimes dont 200 000 Français, 500 000 Britanniques et 500 000 Allemands.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

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