Je lisais rapidement mon courrier avant le départ. Quelques cartes postales m'étaient parvenues avec beaucoup de retard.
En ce qui concerne cette carte postée à Cette par l'adjudant d'administration André Lanet, rien d'anormal puisqu'il l'avait envoyée au secteur postal 15 alors que le courrier de la 42ème division à laquelle appartenait l'ambulance 1/10 dépendait du secteur 35. Nous avions sympathisé quand j'étais en 1915 à l’hôpital complémentaire 22 à Rodez.
André m'indiquait dans cette carte qu'il se trouvait maintenant à l'hôpital complémentaire 52 de Cette, à sa demande. Sa fillette ayant un début d'ostéite du pied, les médecins lui avaient ordonné un séjour à la mer et il était donc là-bas avec sa femme et ses deux enfants. Son hôpital de 200 lits n'avait comme malades que des prisonniers de guerre. Monsieur Puech, qui se trouvait avec nous en 1915 à Rodez, était son médecin chef. Il me donnait aussi des nouvelles de Monsieur Ladieu, comptable à l’hôpital de Rodez.
Une carte de Dax, postée par notre officier gestionnaire Joseph De Laurens lors de sa permission, m'était arrivée après son retour.
Originaire de cette ville où il était né en 1879, Joseph avait fait des études de droit et exerçait le métier d'avocat, avant le conflit.
Marié en 1902, il avait trois enfants. Après sa mobilisation en 1914, il fut nommé officier d'administration de troisième classe de l'Armée Territoriale du Service de santé, le 5 mars 1915. Tout d'abord affecté au service de santé de la 18ème région à Bordeaux, il fut désigné pour la 20ème région à Troyes. Le 15 août 1916, il avait été envoyé à l'hôpital C9 de Contrexéville, puis le 20 février 1917 dirigé sur la gare régulatrice de Noisy-Le-Sec pour gagner l'Ambulance 1/10 où nous fîmes connaissance.
Ma femme m'avait envoyé plusieurs cartes, à la bonne adresse, qui étaient arrivées à destination avec beaucoup de retard. Elle trouvait aussi que ma correspondance mettait du temps à lui parvenir.
Avec le retour du printemps, elle avait pris plaisir à aller ramasser un gros fagot de houx et s'occupait intensément du jardin, pensant obtenir une bonne récolte.
Marinelle, Mathilde et Louise en 1906 |
Elle était ravie d'avoir eu la visite de ses cousines, Mathilde et Marinelle Lanet, qui avaient pris quelques jours de repos, étant temporairement au chômage. Elles travaillaient au Pont-de-l'arn chez Monsieur Cormouls et dans cette usine textile, comme dans d'autres, les arrivages de peaux lainées étant en forte baisse, les ouvrières avaient moins de travail.
Le conflit avait détruit l'équilibre économique du Monde entier. Dans le fret, priorité était donnée à l'alimentation et aux produits nécessaires aux usines d'armement. Le coût du transport et des assurances était devenu prohibitif. En conséquence, des stocks de peaux de moutons s'accumulaient dans leurs pays d'origine. Les transports par chemin de fer étaient perturbés, les compagnies n'ayant pas assez de wagons. Ainsi, les peaux arrivées par mer restaient bloquées dans les ports de Cette, Marseille ou Bordeaux. L'arrivée des combustibles était aussi perturbée. Les pièces de machines n'étaient plus fournies par l'ennemi. Les difficultés d'approvisionnement l'emportaient sur l'avantage tiré des commandes militaires de chaussons, gants, chaussettes, chandails, gilets, cache-nez et passe-montagnes.
A Mazamet, on payait dans les magasins avec des pièces de monnaie de nécessité gravées Alquier Frères Mazamet. La monnaie officielle manquait et les monnaies de nécessité prenaient le relai en attendant des jours meilleurs. J'en ai gardé une en souvenir de cette période.
Ainsi, le 21 mai, nous quittions Pévy à 6 heures, par un temps lourd et orageux. L'ambulance 1/10 était en tête, suivie par l'ambulance 1/6. La chaleur étant éprouvante, les sacs avaient été déposés sur les voitures avant le départ, afin de ne pas trop charger les hommes. Vers 16 heures, le détachement qui avait fait plusieurs haltes durant une trentaine de kilomètres, arrivait devant l'église de Sainte-Gemme. Je pus loger chez Monsieur Roger Picart.
Le lendemain, encore une trentaine de kilomètres à parcourir sous une pluie fine, pour cantonner à Gland dès 15h30 et y rester au repos durant une semaine. Je logeais chez Monsieur Sauté.
Le 29 mai, le départ était fixé à 4h45 pour gagner La Chapelle sur Chezy. Le cantonnement se faisait chez Monsieur Ernest Berenger et ma chambre était chez Monsieur Simon.
Le 30 mai, on se levait toujours très tôt pour aller cantonner à l'Hôtel du Sauvage, tenu par Madame Chemin, sur la place de Rebais, en Seine et Marne. Je dormais chez Madame Delacourt.
Le 31 mai, encore 23 kilomètres à parcourir pour se rendre à Champcenest, au château de Ferreux, où nous arrivions vers 10h.
Enfin, le 1er juin, nous nous rendions à Esternay pour y remplacer l'ambulance 210 de la 47ème division. La popote était chez Madame Dizier et ma chambre chez Madame Morize.
Notre ambulance 1/10 s'installait dans l'établissement de Monsieur Thomas, mouleur en porcelaines, dans le quartier de Retourneloup où des maisons avaient été bombardées le 6 septembre 1914, lors de la bataille des deux Morins.
Nous disposions de 20 lits d'hospitalisation et 13 étaient déjà occupés.
Camille Massina assurait chaque matin une visite médicale dans la petite salle des écoles, pour les malades des diverses batteries. Trois fois par semaine, il avait en charge les visites d'un groupe de 180 prisonniers de guerre cantonné dans le quartier du Vivier. Henri Fay s'occupait des visites et de l'hospitalisation des malades adressés au service de l'ambulance. Le médecin Mignot avait été détaché de l'ambulance 1/6 pour assurer les visites des malades d'un groupement se trouvant à Neuvy, à quelques kilomètres d'Esternay.
Notre ambulance devait reverser deux chevaux de selle, et je me suis trouvé démonté ainsi que le docteur Massina. J'ai conduit moi-même ces chevaux à Provins, le 5 juin. Une revue de troupes de la 42ème division d'infanterie par le général Henri Gouraud y avait lieu à 10 heures, avec remise de la croix de chevalier de la légion d'honneur et de la croix de guerre à notre médecin chef.
J'ai pu ainsi passer un moment avec ma femme Louise, arrivée le 3 juin au soir à Provins. Elle était venue à Paris avec sa sœur Valérie, veuve de guerre depuis plus de deux ans. Celle-ci devait gérer sa situation de veuve dans la capitale.
Son mari, Albert Azema était mort au tout début du conflit en septembre 1914 à Manonviller, en Meurthe et Moselle, et elle n'avait appris sa disparition qu'en octobre. Comme de nombreuses veuves, elle avait dû attendre patiemment et douloureusement que se mette en place une organisation qui lui permettrait de voir où il était mort, faire rapatrier son corps et toucher une pension. Il faut comprendre qu'au début de cette guerre, les morts étaient enterrés à la hâte près de l'endroit où ils étaient tombés. Plus tard, la loi du 2 juillet 1915 avait conféré aux soldats décédés le statut de "mort pour la France" : Ils seraient inhumés, dans la mesure du possible, dans des cimetières collectifs mais inaccessibles aux familles et aux proches, car situés dans la zone des armées. Au printemps 1917, les veuves et les familles pouvaient obtenir un sauf-conduit pour rechercher l'emplacement du corps du soldat défunt. C'est ce que Valérie sollicita. De plus, pour faire une demande d'avance sur pension, la procédure était longue, un délai de six mois étant nécessaire entre la date de décès officiel et la clôture du dossier. Ce ne fut qu'en mai 1915 que le décès d'Albert Azema fut inscrit officiellement sur le registre d’état civil de Mazamet, donnant ainsi le statut de veuve à Valérie. Des associations, bureaux de bienfaisance, fédérations et sociétés de secours, avaient pris en charge dès la fin de 1914 les veuves et les familles afin de les aider à survivre. La loi du 30 Mai 1916 avait été votée pour contrôler tous ces organismes. Les demandes d'avance sur pension auprès des intendants de circonscription étaient donc nécessaires pour améliorer le quotidien de ces femmes et de leur famille. Cependant, les sommes allouées étaient très faibles, elles se substituaient aux allocations données aux femmes de soldats mobilisés, et les veuves étaient étroitement surveillées, leur ceinture régulièrement mesurée, preuve d'une vie de célibataire entièrement consacrée à la mémoire de leur défunt époux.
A Provins, Louise et Valérie avaient pu aller se recueillir dans l'église Saint Quiriace, puis admirer la tour de César. Ces magnifiques édifices avaient été construits au XIIème siècle.
Mes enfants étaient restés dans le Tarn, confiés à la famille pour ces quelques jours. Yvonne, notre fille âgée de 7 ans, en garde chez sa tante Hélène et ses cousines Alice et Madeleine, avait été contente de lire des nouvelles de sa maman.
Peu de temps après, nous nous retrouvions à Albine : Henri Fay était rentré de permission le 6 juin, je pouvais profiter à mon tour d' une pause et je pris le train le 7 juin à Provins pour Mazamet.
Durant ma permission, l'ambulance recevait l'ordre de partir à Chaudrey pour rejoindre la 42ème division qui avait fait mouvement vers le camp de Mailly. Le quartier général de la division s'était déplacé à Romilly, puis à Lhuitre.
Le médecin chef de l'ambulance transmettait le 19 juin au médecin divisionnaire les feuillets de campagne des officiers de notre formation. Une appréciation m'était destinée pour le premier semestre de 1917 :
Le 4 juin, la Chambre des députés venait de voter la confiance au gouvernement pour la poursuite de la guerre jusqu'à la restitution de l'Alsace-Lorraine.
Durant ma permission, je pris à Albine des nouvelles de l'instituteur Emile Bosc. Depuis le 14 août 1914, il était parti du port de Cette pour le Maroc et sa femme, institutrice à Albine, s'occupait de leurs deux filles. Né en 1878, il avait commencé sa carrière d'instituteur dans l'Aveyron et résidait avec sa famille à Albine depuis 1910. Nommé sergent major le 1er février 1915, il était rattaché à la 8ème compagnie dans le 2ème bataillon du 128ème régiment territorial d'infanterie. Ce bataillon avait cantonné à Tigrigra, Ito, Meknès, Timhadit et Casablanca.
Le Maroc était sous protectorat français depuis 1912. Le général Lyautey avait décidé à la déclaration de guerre de maintenir une force militaire sur place, le Maroc étant loin d'être pacifié. Les unités parties au combat en France avaient été ainsi relevées par des bataillons territoriaux envoyés dans les postes de l'avant ou pour assurer les tournées de police. Là-bas, les soldats souffraient du climat auquel ils n'étaient pas habitués, de l'insalubrité de l'eau, du manque de tout, et surtout de l'éloignement. Ils bénéficiaient de peu de permissions, vue la rareté des paquebots pouvant assurer leur retour en France.
Je profitais de ces quelques jours de printemps en famille, immortalisés sur ces quelques photographies , en évitant de penser à mon retour à l'ambulance.
Le 29 mai, le départ était fixé à 4h45 pour gagner La Chapelle sur Chezy. Le cantonnement se faisait chez Monsieur Ernest Berenger et ma chambre était chez Monsieur Simon.
Le 30 mai, on se levait toujours très tôt pour aller cantonner à l'Hôtel du Sauvage, tenu par Madame Chemin, sur la place de Rebais, en Seine et Marne. Je dormais chez Madame Delacourt.
Le 31 mai, encore 23 kilomètres à parcourir pour se rendre à Champcenest, au château de Ferreux, où nous arrivions vers 10h.
Enfin, le 1er juin, nous nous rendions à Esternay pour y remplacer l'ambulance 210 de la 47ème division. La popote était chez Madame Dizier et ma chambre chez Madame Morize.
Notre ambulance 1/10 s'installait dans l'établissement de Monsieur Thomas, mouleur en porcelaines, dans le quartier de Retourneloup où des maisons avaient été bombardées le 6 septembre 1914, lors de la bataille des deux Morins.
Nous disposions de 20 lits d'hospitalisation et 13 étaient déjà occupés.
Camille Massina assurait chaque matin une visite médicale dans la petite salle des écoles, pour les malades des diverses batteries. Trois fois par semaine, il avait en charge les visites d'un groupe de 180 prisonniers de guerre cantonné dans le quartier du Vivier. Henri Fay s'occupait des visites et de l'hospitalisation des malades adressés au service de l'ambulance. Le médecin Mignot avait été détaché de l'ambulance 1/6 pour assurer les visites des malades d'un groupement se trouvant à Neuvy, à quelques kilomètres d'Esternay.
Notre ambulance devait reverser deux chevaux de selle, et je me suis trouvé démonté ainsi que le docteur Massina. J'ai conduit moi-même ces chevaux à Provins, le 5 juin. Une revue de troupes de la 42ème division d'infanterie par le général Henri Gouraud y avait lieu à 10 heures, avec remise de la croix de chevalier de la légion d'honneur et de la croix de guerre à notre médecin chef.
J'ai pu ainsi passer un moment avec ma femme Louise, arrivée le 3 juin au soir à Provins. Elle était venue à Paris avec sa sœur Valérie, veuve de guerre depuis plus de deux ans. Celle-ci devait gérer sa situation de veuve dans la capitale.
Hélène et Madeleine, Louise et notre chien, Valérie et Alice |
Son mari, Albert Azema était mort au tout début du conflit en septembre 1914 à Manonviller, en Meurthe et Moselle, et elle n'avait appris sa disparition qu'en octobre. Comme de nombreuses veuves, elle avait dû attendre patiemment et douloureusement que se mette en place une organisation qui lui permettrait de voir où il était mort, faire rapatrier son corps et toucher une pension. Il faut comprendre qu'au début de cette guerre, les morts étaient enterrés à la hâte près de l'endroit où ils étaient tombés. Plus tard, la loi du 2 juillet 1915 avait conféré aux soldats décédés le statut de "mort pour la France" : Ils seraient inhumés, dans la mesure du possible, dans des cimetières collectifs mais inaccessibles aux familles et aux proches, car situés dans la zone des armées. Au printemps 1917, les veuves et les familles pouvaient obtenir un sauf-conduit pour rechercher l'emplacement du corps du soldat défunt. C'est ce que Valérie sollicita. De plus, pour faire une demande d'avance sur pension, la procédure était longue, un délai de six mois étant nécessaire entre la date de décès officiel et la clôture du dossier. Ce ne fut qu'en mai 1915 que le décès d'Albert Azema fut inscrit officiellement sur le registre d’état civil de Mazamet, donnant ainsi le statut de veuve à Valérie. Des associations, bureaux de bienfaisance, fédérations et sociétés de secours, avaient pris en charge dès la fin de 1914 les veuves et les familles afin de les aider à survivre. La loi du 30 Mai 1916 avait été votée pour contrôler tous ces organismes. Les demandes d'avance sur pension auprès des intendants de circonscription étaient donc nécessaires pour améliorer le quotidien de ces femmes et de leur famille. Cependant, les sommes allouées étaient très faibles, elles se substituaient aux allocations données aux femmes de soldats mobilisés, et les veuves étaient étroitement surveillées, leur ceinture régulièrement mesurée, preuve d'une vie de célibataire entièrement consacrée à la mémoire de leur défunt époux.
A Provins, Louise et Valérie avaient pu aller se recueillir dans l'église Saint Quiriace, puis admirer la tour de César. Ces magnifiques édifices avaient été construits au XIIème siècle.
Mes enfants étaient restés dans le Tarn, confiés à la famille pour ces quelques jours. Yvonne, notre fille âgée de 7 ans, en garde chez sa tante Hélène et ses cousines Alice et Madeleine, avait été contente de lire des nouvelles de sa maman.
Peu de temps après, nous nous retrouvions à Albine : Henri Fay était rentré de permission le 6 juin, je pouvais profiter à mon tour d' une pause et je pris le train le 7 juin à Provins pour Mazamet.
Durant ma permission, l'ambulance recevait l'ordre de partir à Chaudrey pour rejoindre la 42ème division qui avait fait mouvement vers le camp de Mailly. Le quartier général de la division s'était déplacé à Romilly, puis à Lhuitre.
Le médecin chef de l'ambulance transmettait le 19 juin au médecin divisionnaire les feuillets de campagne des officiers de notre formation. Une appréciation m'était destinée pour le premier semestre de 1917 :
Le 4 juin, la Chambre des députés venait de voter la confiance au gouvernement pour la poursuite de la guerre jusqu'à la restitution de l'Alsace-Lorraine.
Durant ma permission, je pris à Albine des nouvelles de l'instituteur Emile Bosc. Depuis le 14 août 1914, il était parti du port de Cette pour le Maroc et sa femme, institutrice à Albine, s'occupait de leurs deux filles. Né en 1878, il avait commencé sa carrière d'instituteur dans l'Aveyron et résidait avec sa famille à Albine depuis 1910. Nommé sergent major le 1er février 1915, il était rattaché à la 8ème compagnie dans le 2ème bataillon du 128ème régiment territorial d'infanterie. Ce bataillon avait cantonné à Tigrigra, Ito, Meknès, Timhadit et Casablanca.
Le Maroc était sous protectorat français depuis 1912. Le général Lyautey avait décidé à la déclaration de guerre de maintenir une force militaire sur place, le Maroc étant loin d'être pacifié. Les unités parties au combat en France avaient été ainsi relevées par des bataillons territoriaux envoyés dans les postes de l'avant ou pour assurer les tournées de police. Là-bas, les soldats souffraient du climat auquel ils n'étaient pas habitués, de l'insalubrité de l'eau, du manque de tout, et surtout de l'éloignement. Ils bénéficiaient de peu de permissions, vue la rareté des paquebots pouvant assurer leur retour en France.
Je profitais de ces quelques jours de printemps en famille, immortalisés sur ces quelques photographies , en évitant de penser à mon retour à l'ambulance.
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