Le 27 juin, la 42ème division était mise provisoirement à la disposition du 15ème Corps d'Armée et devait partir pour la région Sud-Est de Verdun. Notre formation sanitaire se rendrait à Belrupt par convoi automobile, les bagages et les cuisines par voie ferrée.
Je suis à droite, sur cette photographie prise le 27 juin, à Chaudrey, quelques instants avant notre embarquement pour Belrupt.
Le convoi est arrivé le 28 juin à Belrupt. Le 30 juin, nous allions cantonner à 2 kilomètres, à Haudainville.
Le 1er juillet, la 42ème division relevait la 123ème division sur la rive droite de la Meuse, dans le secteur de Douaumont. Elle avait pour mission de défendre ce secteur et d'assurer l'organisation et l'aménagement du terrain, en vue d'opérations éventuelles.
extrait de la carte du champ de Bataille de Verdun. échelle : 1/100000 |
Le 8 juillet, je me rendis à Lunéville pour l'approvisionnement. L'ambulance 1/10 devait ce jour-là se porter à Belrupt pour relever l'ambulance 13/10, dans la propriété de Monsieur Edmond Delaforge. Les locaux étaient adaptés pour le service d'hospitalisation avec à notre disposition des baraques Adrian, une baraque de triage, une salle d'opérations et une salle pour les morts. Nous devions assurer ce service avec l'ambulance 1/6.
Le 14 juillet, notre officier d'administration De Laurens partait en permission pour se reposer une semaine à Dax.
Notre arrivée dans ce secteur nous confrontait à de nombreux bombardements : Le 14 juillet, puis le 22 et le 28 juillet, la commune de Dugny était bombardée par des projectiles de 380 mm lancés par l'artillerie allemande.
Le 27 juillet, des obus boches incendiaient un dépôt de munitions situé près de la caserne Marceau. Vers 23 heures, deux explosions se faisaient ressentir sur les cloisons de nos baraques.
Le 1er août, des obus de 380 mm tombaient sur le camp Driant.
Le 15 juillet, la 42ème division avait été envoyée en repos à Laheycourt. Le groupe des ambulances 1/10 et 1/6 devait assurer à Belrupt des travaux d'aménagement des locaux.
Le 2 août, la décision de suspendre les permissions des officiers était prise.
Le 5 août, nous assistions à une conférence sur la protection contre les gaz. En effet, de nouveaux obus de 77 ou de 105 mm contenaient du sulfure d'éthyle dichloré. L'action de ce gaz était tardive et attaquait les muqueuses. Cette arme chimique à odeur de moutarde avait été utilisée pour la première fois à Ypres, en Belgique, le 11 juillet 1917. On l'appelait aussi pour ces raisons "gaz moutarde" ou "ypérite". 186 lits de notre formation étaient occupés par des intoxiqués au gaz.
Source : military-photos.com |
Le Général Passaga qui commandait le 32ème Corps d'Armée auquel appartenait la 42ème division d'infanterie, monté en ligne le matin du 9 août, fut touché par un éclat d'obus à l'épaule droite. Le lendemain, il venait se faire panser dans notre ambulance.
Le samedi 11 août, je partais avec le docteur Camille Massina à la caserne Marceau, ayant été détaché au service du champ de bataille.
Nous nous y installions avec 20 hommes et le lendemain on commençait les inhumations.
Je relisais les consignes à respecter en tant qu'officier d'état civil, notées par mes soins sur mon carnet rouge :
- Porter une attention toute particulière en raison de son importance à l'établissement des actes de décès. Un tel acte ne doit être dressé que lorsqu'on a la certitude absolue de l'identité du mort. Même lorsqu'on se trouve dans une région où fonctionne l'autorité civile, en plus de la déclaration au Maire, il est bon d'établir l'acte de décès. La plaque et le livret militaire sont bien des fois insuffisants pour établir l'exacte identité. Il faut des renseignements complémentaires qu'on peut avoir soit du disparu s'il a pu causer avant sa mort, soit d'un camarade le connaissant très bien. Il faut alors, si l'on juge que l'on doit dresser l'acte de décès, n'inscrire que des renseignements dont on est absolument certain (célibataire ou marié, dernier domicile ... ). Cet acte au caractère officiel ne supporte pas de ratures ou surcharges et il faut un jugement pour le détruire ou le modifier. L'acte est adressé au Ministre de la Guerre, au bureau des archives administratives. Le Ministre en garde une copie et un extrait est envoyé au conseil d'administration du régiment du décédé. La loi du 2 juillet 1915 impose d' y inscrire la cause de la mort (mort pour la France, tué à l'ennemi, blessures de guerre, mort en service, accident en service commandé, maladie contractée sur le champ de bataille). Il faut rajouter un papillon indiquant le genre de mort lorsque c'est par suicide ou passé par les armes. En effet, il y a une différence de pension suivant le genre de mort. L'acte avec mention "mort pour la France" ou "mort en service commandé" est envoyé au bureau des archives. Lorsqu'un doute existe,si petit soit-il, sur l'identité du décédé, on établit un procès verbal de constatation du décès. En fin de mois, on doit établir un extrait de chaque acte de décès avec un bordereau numéroté à l'appui. Le 1er jour de chaque mois, il faut établir un compte-rendu du nombre de décès survenu pendant le mois précédent.-
Le 15 août, les brancardiers du GBD 42 s'installaient au poste de secours de la citerne Marceau, après le départ du GBD 69.
Les tirs de grosses pièces continuaient sur Dugny et Belrupt, entraînant l'affluence des intoxiqués par les gaz à l'ambulance 1/10. Le 19 août, l'ambulance 3/54 venait rejoindre notre groupement d'ambulances.
Le 20 août, l'armée française attaquait les rives droite et gauche de la Meuse sur un front de 18 kilomètres de large. La 165ème division d'infanterie attaquait sur Beaumont, rive droite. La brigade Pougin de la 42ème division attaquait aussi sur la rive droite, ainsi que la 123ème, à Samogneux. La brigade marocaine de la 37ème division attaquait comme les 13ème et 16ème Corps d'Armée sur la rive gauche.
Notre groupement d'ambulance était bombardé le même jour par des obus de 380 mm dans la matinée.
Le pharmacien de notre ambulance, Jean Caubon, s'est alors porté au secours de victimes ensevelies sous les décombres d'une maison. Malheureusement, atteint par un éclat d'obus à l'abdomen, il succomba à ses blessures durant la nuit suivante, à l'ambulance 6/6. Il n'avait que 25 ans. Nous avions fait connaissance dès mon arrivée à l'ambulance 1/10, à Frévent, en octobre 1915 et nous étions devenus des amis, au fil de ces longs mois de guerre. Originaire de Marmande, il appartenait à la 17ème section d'infirmiers militaires.Il ne me reste que ces quelques photos de lui dans une ville bombardée où il discutait avec Camille Massina.
Nous avons fleuri sa tombe sur laquelle était inscrit "mort pour la France".
Il fut cité à l'ordre de la 2ème Armée. La citation fut adressée à son père à Marmande.
L'officier d'administration De Laurens avait aussi participé à l'évacuation des blessés et avait été cité à l'ordre du 32ème Corps d'Armée pour avoir fait preuve d'un bel esprit de sacrifice en dirigeant l'évacuation des blessés dans des abris, en installant des postes de secours et en participant au dégagement des hommes ensevelis sous les décombres des maisons écroulées.
Suite à ce bombardement, notre groupe d'ambulances avait dû se transporter sur la colline à l'Est de Belrupt. Une vingtaine de blessés et malades couchés avaient été évacués par des voitures sanitaires sur l' HOE de Dugny, les autres hospitalisés étant dirigés sur l'infirmerie du camp Driant.
Le 26 août, à l'image de la journée du 20 août, les mêmes divisions de l'armée française attaquaient à nouveau. Durant cette semaine, il y avait eu 120000 tonnes de projectiles répandus sur ce secteur de Verdun. L'Armée française avait appliqué une stratégie purement défensive destinée à user l'adversaire. Verdun fut ainsi dégagé, avec reprise du bois des Corbeaux, des pentes Nord du Mort-Homme et de la cote 304, sur la rive gauche, tandis que la cote 344 était reconquise sur la rive droite.
Nous apprenions dans la presse que la situation était compliquée en Russie. Là-bas, les paysans s'emparaient des terres des seigneurs, sans attendre la réforme agraire promise par le gouvernement. Ils pillaient et brûlaient les demeures seigneuriales. Les soldats d'origine paysanne désertaient pour participer à la redistribution des terres et les tranchées se vidaient. Dans les villes, les pénuries se généralisaient, des milliers d'ouvriers se retrouvaient au chômage. Les grèves se multipliaient avec séquestration de patrons.
Le 1er septembre, le GBD 42 quittait Marceau, il était prévu que sa relève serait assurée par les GBD 128 et 69. Le GBD 42 devait se rendre, comme l'ambulance 1/10, à Villers aux vents. Là-bas, l'ambulance, étant au repos, fournissait chaque jour des hommes et des chevaux pour les travaux agricoles.
Le 2 septembre, les régiments de la 163ème division d'infanterie arrivaient pour participer à cette seconde bataille de Verdun qui se poursuivait, et le 8 septembre, une nouvelle attaque à laquelle participaient les 163ème, 128ème, 40ème et 69ème division d'infanterie, avait lieu.
Le 11 septembre, Georges Riberpray, Général de brigade de la 128ème division d'infanterie, en visitant les premières lignes, trouvait la mort au bois de Chaume après avoir été blessé par un obus .
Le roulement des régiments continuait sans cesse : Le 15 septembre, le GBD 163 venait relever le GBD 128. Le GBD 69 partait aussi le 16 septembre, la 69ème division d'infanterie étant relevée à son tour.Le 20 septembre, la 10ème division du 2ème Corps Colonial venait dans le secteur, le 23 septembre la 40ème division d'infanterie était relevée, le 24 septembre arrivait la 15ème division du 2ème Corps Colonial. Puis, le 2 octobre, le GBD 163 quittait Marceau, remplacé par le GBD de la 37ème division d'infanterie.
L'ambulance 1/10 s'était portée le 16 septembre à Génicourt-sur-Meuse pour relever l'ambulance 232 de la 131ème division d'infanterie. C'est alors que le pharmacien Marcel Vilas avait été affecté à l'ambulance, sur ordre du Général Passaga. Marcel était passé fin juin au 94ème régiment d'infanterie avant d'être nommé pharmacien aide major de 2ème classe de réserve à la mi juillet. Il était en Argonne en avril 1915, avait été à Verdun en mai 1916, puis avait participé à la bataille de l'Aisne en avril 1917.
extrait de la carte du Champ de Bataille de Verdun au 1/100000ème |
L'ambulance 1/10 rejoignait Sommedieue le 28 septembre, étant relevée par l'ambulance 2/55.
Le 29 septembre, avec Camille Massina, nous cessions nos fonctions à Marceau. Suite à notre investissement dans l'assainissement du champ de bataille, nous venions d'être gratifiés d'une citation à l'ordre du 32ème Corps d'Armée.
QG, le 27 septembre 1917
Ordre général numéro 655/A
Le Général Commandant le 32ème Corps d'Armée cite à l'Ordre du Corps d'Armée, les militaires dont les noms suivent :
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L'officier d'administration de 2ème classe, VIDAL Ernest, de l'ambulance 1/10
"Officier d'administration d'un dévouement inlassable. Chargé, comme officier d'Etat-Civil, de l'assainissement du Champ de Bataille, pendant l'offensive d' Août et Septembre 1917, sous Verdun, s'est dépensé sans compter, jour et nuit, en parcourant les endroits les plus exposés, pour assurer sa mission, qu'il a remplie avec autant de zèle que d'intelligence." signé : PASSAGA
Après avoir passé la nuit à Génicourt où nous pensions retrouver l'ambulance 1/10, nous sommes allés la rejoindre le 30 septembre à Sommedieue. Le cantonnement s'y faisait dans la maison du sculpteur Louis Jacquot. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, des avions avaient bombardé Génicourt.
Le 2 octobre, dans la matinée, la ville de Sommedieue était bombardée par des obus de 240 mm. Plusieurs maisons furent démolies à la suite d'un passage d'avions. Suite à ce bombardement, l'ambulance devait aller cantonner dans l'après-midi au camp de Marquenterre, dans un bois, avec la consigne de masquer les voitures sous des arbres pour éviter de se faire voir.
Ayant obtenu une permission de 12 jours en même temps que le docteur Massina, nous profitions d'une voiture qui conduisait le capitaine Henri Saint Mleux du 94ème régiment d'infanterie, blessé dans le bombardement par un éclat d'obus, à l'HOE de Souilly.
Une carte reçue d'Albine m'avait fait comprendre que ma famille m'attendait avec impatience et que j'allais pouvoir essayer d'oublier Verdun en participant à la cueillette des cèpes ou des girolles qui semblaient avoir fait leur apparition dans la Montagne Noire.